Variations contemporaines sur un topos éculé :l’éros pédagogique dans le roman de l’étudiant·e en lettres au Québec (2000-2020) | |||||||||||||
- Vous savez, c’est bien petit un campus universitaire. Tout finit par se savoir[1]. | |||||||||||||
Romans de l’étudiant·e en lettres | |||||||||||||
1 | La littérature québécoise du XXI | ||||||||||||
2 | Cet article cherche à comprendre comment sont attribuées, et éventuellement renégociées, les positions de pouvoir dans le cadre des relations hiérarchiques impliquant l’éros pédagogique. Comment expliquer que les spécialistes verbeux de Kafka écrasent les étudiantes “de tout leur poids”[7], comme Tchéky K. dans La brèche (2002), ou comme le docte professeur Ménard dans Tarquimpol (2007) ? Que dit, en creux, le cliché de la professeure féministe (nécessairement) lesbienne, rigide et frigide (Scrapbook, 2004 ; Catastrophes, 2007 ; PsychoZe, 2016) ? Dans le cas des intrigues focalisées sur la relation érotique, observe-t-on des transferts de pouvoir entre les éléments du couple? Cet article sonde un échantillon de 11 romans de l’étudiant·e en lettres, choisis en fonction de la figuration d’au moins un·e universitaire libidineux·euse : La dot de la Mère Missel (2000), de Pierre Tourangeau ; Carnets de naufrage (2000), de Guillaume Vigneault ; La brèche (2002), de Marie-Sissi Labrèche ; Scrapbook (2004), de Nadine Bismuth ; Tarquimpol (2007), de Serge Lamothe ; Catastrophes (2007), de Pierre Samson ; L’impudeur (2008), d’Alain Roy ; Enthéos (2008), de Julie Gravel-Richard ; L’amour des maîtres (2011), de Mélissa Grégoire ; Le corps des femmes est un champ de bataille (2012), de Laurent Chabin ; et PsychoZe, de Marie-Christine Arbour (2016). | ||||||||||||
3 | Il n’est pas question ici de trancher le débat sur les rapports intimes entre professeur·e·s et étudiant·e·s, ni de jauger la valeur littéraire des fictions universitaires[8], mais de mettre en réseau des représentations[9], afin de mieux comprendre comment se déploie un pan de l’imaginaire universitaire dans les romans québécois. L’objectif principal est d’interroger les dynamiques érotiques à l’œuvre et, surtout, leur étonnante stéréotypie, laquelle résiste aux enjeux sociaux actuels concernant les comportements à caractère sexuel dans les relations hiérarchiques. Après avoir exposé la poétique du roman de l’étudiant·e en lettres, et établi ses luttes intestines, je me concentrerai sur l’éros pédagogique. Celui-ci sera traité en deux mouvements, selon qu’il s’agit d’un simple cliché carnavalesque ou qu’il structure toute la trame narrative. | ||||||||||||
Les membres du boys club… et les autres | |||||||||||||
4 | Si l’existence du campus novel en tant que tradition littéraire reste à vérifier au Québec[10] – tout comme en France et ailleurs[11] –, plusieurs commentateurs ont observé une prolifération des universitaires fictifs depuis les années 1980. André Brochu notait par exemple en 1981 que | ||||||||||||
la représentation romanesque de l’universitaire est chose nouvelle dans notre littérature, et tient, bien entendu, au fait que l’écrivain d’aujourd’hui se recrute plus souvent qu’autrefois parmi la caste des littéraires, c’est-à-dire de ceux qui ont reçu une formation poussée dans le domaine des lettres et qui font ensuite carrière soit dans l’enseignement, soit dans l’une ou l’autre des voies sur lesquelles, théoriquement du moins, débouche cette formation.[12] | |||||||||||||
5 | L’hypothèse, qui avait été vérifiée par Robert Dion en 1997[13], se voit à nouveau confirmée. Les onze auteur·trice·s retenus ont bel et bien bénéficié d’une formation en lettres[14]. Mais indépendamment des considérations sociographiques, l’imposante représentation des universitaires lettrés mérite en elle-même qu’on se penche sur le phénomène. Le simple dépouillement de Lettres québécoises, une revue faisant état d’un bon nombre de nouveautés publiées, permet de recenser, entre 1980 et 2020, 108 romans mettant en scène le monde universitaire, 41 romans où gravitent des étudiant·e·s en lettres et 28 titres susceptibles de correspondre au genre du roman universitaire à proprement parler. Sans être assimilables à ce dernier[15], les œuvres retenues en partagent plusieurs caractéristiques, à commencer par la mise en place d’un discours et d’un cadre universitaires. Comme je l’ai posé en introduction, les onze titres qui forment le corpus ont pour protagoniste un·e étudiant·e en littérature, et exploitent le topos répandu de la relation intime entre maître et disciple[16]. Avant de scruter cette récurrence, il convient d’exposer les autres tensions donnant corps aux romans de l’étudiant·e en lettres : les différentes dynamiques, érotiques ou non, sont liées au moins de manière paratactique, elles sont corrélées sans que le lien de dépendance ne soit facilement saisissable, puisque le schème de la prédation sexuelle est devenu la norme générique du campus novel pour exprimer toute forme de conflit[17]. | ||||||||||||
6 | On s’en doute bien, le mécanisme général qui commande l’action réside dans l’écart hiérarchique entre l’élève et le maître. À ce chapitre, Georges Watson Remarque : “university, after all, is a place for students who have barely started to live, and professors who have done all (or nearly all) the living they are ever likely to do”[18]. Les professeurs – surtout de sexe masculin – ont une lourde notoriété, à l’image des “tas de kilos en trop résultant de beuveries de profs d’université qui remplissent des demandes de subventions à n’en plus finir” (LB 12). On peut déduire de son poids symbolique que l’universitaire de carrière incarne l’ennemi à abattre et que, de son côté, l’étudiant·e n’a pas l’autorité nécessaire pour être la cible d’une critique humoristique marquée : on lui donne la chance du débutant. À cette bipartition caricaturale s’ajoutent d’autres subdivisions. Il y a essentiellement les membres du boys club[19] – les dominants, détestables dans les fictions, qui incluent une majorité de professeurs masculins et, plus rarement, des membres de l’administration – et les autres, principalement des professeures féministes et la clientèle de l’université. | ||||||||||||
7 | Parmi les 13 personnages estudiantins, on compte 6 protagonistes hommes pour 7 femmes. Du côté des figures d’autorité, la parité est loin d’être atteinte. Le tableau ci-dessous dénombre les différents types de cadres universitaires, répartis selon qu’ils entretiennent ou non des relations sexuelles avec des personnes qui leur sont subordonnées. | ||||||||||||
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Tableau 1 : Figures d’autorité et rapports à l’éros | |||||||||||||
8 | L’échantillon compte 30 figures d’autorité, parmi lesquelles plus de la moitié (17) entretiennent des relations érotiques avec des personnes occupant une position hiérarchique inférieure à la leur. Il convient de préciser que les figures d’autorité “neutres” sont souvent moins étoffées dans les fictions recensées. Le fait qu’elles soient également moins connotées justifie-t-il qu’elles paraissent moins incarnées, au sens où leur corps (chair, pulsions, désirs) s’efface au profit d’une étiquette vide, d’une simple fonction narrative ? Je n’ai pas la réponse, mais mes observations me portent à croire que plus l’autorité des personnages universitaires est grande, plus ils sont vicieux (dotés de vices). Du côté des professeurs, 12 sur 20 ont des rapports sexuels avec au moins une de leurs apprenties. Qu’on ne se leurre pas, même si les professeurs fictifs sont trois fois plus nombreux à entretenir des relations érotiques avec leurs étudiantes, cette disproportion s’expliquerait surtout par un effet de volume : des 26 figures professorales, seulement 6 sont des femmes. Bien qu’il s’agisse d’un portrait partiel de la production romanesque à teneur universitaire, on pourrait garder en tête cette sous-représentation[20], car si les personnages sont surtout en relation avec des professeurs masculins, cela pourrait induire un type d’autorité particulier. Cela dit, les femmes succombent elles aussi aux charmes de leurs pupilles, puisque 4 sur 6 entretiennent des relations intimes avec les leurs. Ce que les chiffres ne disent pas, c’est que tous les professeurs de papier sont hétérosexuels, contre une majorité de professeures lesbiennes (4 sur 6). | ||||||||||||
9 | Les professeures sont-elles moins écrasantes que leur pendant romanesque masculin ? Peut-être en nombre, mais non dans leur capacité à troubler l’ordre. On pourrait avancer qu’elles sont avant tout une menace pour le système en place. Les fictions les présentent majoritairement comme des féministes lesbiennes à contre-courant de leurs collègues masculins. Ainsi en est-il dans L’impudeur : | ||||||||||||
Pour tout dire, il n’y avait que la vie intime de Florence Norbert dont on ne sût rien, c’est-à-dire rien de croustillant. Bien qu’elle ne fût pas vilaine en dépit de son allure garçonne, elle paraissait avoir renoncé à toute sexualité pour se livrer à ses travaux sur la “rhétorique des genres”; le bruit courait cependant qu’elle était lesbienne. (I 99) | |||||||||||||
10 | Ce portrait de la théoricienne témoigne de la prégnance des stéréotypes les plus éculés pesant sur le féminisme[21]. Mais l’orientation sexuelle de Florence Norbert la préserve, paraît-il, des tentations charnelles. Dans Scrapbook, au contraire, la rumeur veut que Mme Dubois dirige ses étudiantes des cycles supérieurs… dans son lit. Il n’en demeure pas moins que cette “hystérique maintenant directrice du département[22]” est elle aussi “férue de théories féministes et déconstructionnistes” (S 20). Dans le roman PsychoZe, où la déconstruction des binarités de sexe/genre est pourtant centrale, la directrice de mémoire, dont le portrait paraît plutôt nuancé, finit par se présenter sous son plus mauvais jour : au dénouement, toute vêtue de cuir, elle incarne une caricature extrême de la lesbienne sadomasochiste, avouant même avoir éviscéré un homme par vengeance, pour se réapproprier l’exclusivité amoureuse d’une étudiante. Et bien qu’aucun bruit ne coure au sujet de la très stricte professeure Malbœuf, celle-ci n’échappe pas au cliché de la féministe masculine, comme en témoigne la présentation qu’en fait Larry Volt, héros de La dot de la Mère Missel : | ||||||||||||
Madame le professeur – c’est elle qui insistait sur le masculin parce que, disait-elle, la grammaire n’a que faire de la rectitude féministe; étant dogmatique par définition, comme les tenants de cette dernière elle ne souffre pas qu’on la tripote – madame le professeur Malbœuf (“on ne va tout de même pas m’appeler Malvache sous prétexte que je suis une femme”) quel malheureux manque d’imagination pour une littéraire – m’a accueilli par une grande exclamation en quittant sa chaise. (DMM 77) | |||||||||||||
11 | Décidément, ce cliché est aussi gros que celui, opposé, propre aux professeurs “Pygmalions qui évolu[ent] dans ces vivoirs de chair fraîche [les universités] continuellement approvisionnés par de nouveaux arrivages de Lolitas” (I 29). Le topos de la professeure féministe amère est devenu courant dans les romans universitaires états-uniens des années 1990 : “In the academic fiction of the ‘90s, a feminist faculty member often plays the role of the sexually frustrated spinster, the prude who cannot understand the man’s Dionysian drive”[23]. Cette régularité laisse deviner, en arrière-plan, un imaginaire du boys club universitaire, où les femmes – et en particulier les féministes – sont là pour nuire aux professeurs de désir. Elaine Showalter tranche encore : “the idea that feminists and others set up entrapment schemes for male professors has become standard”[24]. La figure de la professeure féministe lesbienne peine à être envisagée sans qu’on l’affuble d’une attitude de “rabat-joie”, pour reprendre une idée développée avec force par Sara Ahmed[25]. On notera quand même au passage que le féminisme n’est que l’une des idéologies en proie à la satire, au même titre que certaines approches de la littérature, comme le déconstructionnisme ou le structuralisme. Ces écoles de pensées ont secoué l’imaginaire des études littéraires, et les séismes se font encore sentir dans les fictions du nouveau millénaire[26]. | ||||||||||||
12 | Chez les 2 professeures hétérosexuelles, l’éros pédagogique se voit dédramatisé, ou carrément célébré. Quand le protagoniste de Carnets de naufrage fait remarquer à son amie Martine, une chargée de cours de 30 ans, qu’il n’est “pas très éthique” qu’elle fréquente son étudiant, celle-ci rétorque : “Alex! C’est ma fête !”[27]. Elsa Fontaine, professeure de littérature grecque ancienne, figure quant à elle “Prométhée livrant le feu aux hommes en se sachant condamné”[28]. La professeure du roman Enthéos est irréprochable au point que le titre du livre est un hommage à ses qualités “divines” : “Et Thomas la voit ainsi : enthéos. Enthousiaste, au sens grec du terme. Habitée par le divin. Inspirée” (E 110). Jamais le fait qu’Elsa invite Thomas dans son lit n’est critiqué. Au contraire, la relation apparaît comme une belle et triste histoire d’amour, qui se termine par la mort de la professeure, atteinte d’un cancer du cerveau. On notera au passage que l’écart d’âge entre ces universitaires et leurs amants est minime, contrairement aux rapports analogues entre un professeur et son étudiante. Elsa et Martine ont toutes deux la jeune trentaine, contrairement par exemple au professeur de La brèche, âgé d’un respectable 57 ans, ou celui de Scrapbook, âgé de 56 ans. La première phrase de La brèche pose d’ailleurs clairement l’écart hiérarchique entre l’héroïne et son “prof” : “J’ai vingt-six ans et je baise avec mon prof de littérature. Fuck the system do it, do it, do it, do it yeah!” (LB 11). Plus l’écart d’âge est grand entre un maître et son disciple, plus le pouvoir de domination qu’on prête au premier paraît grand, dans les récits. Dans le cas de La brèche, la relation est d’ailleurs constamment comparée à l’inceste. La protagoniste ne s’en cache pas : “Professionnellement, il est mon prof de littérature, physiquement, il est mon amant, symboliquement, il est mon père” (LB 24). L’essayiste Yvon Rivard va plus loin lorsqu’il affirme que l’éros pédagogique est en soi une forme d’inceste, puisque “[q]ui dit inceste dit rapport entre des forces inégales et trahison du lien de confiance qui existe entre l’adulte et l’enfant aussi bien que le professeur et l’élève”[29]. Dans La dot de la Mère Missel, seul roman faisant l’économie d’une relation intime entre maître et disciple, l’écart hiérarchique est à son comble entre le machiavélique recteur et ses proies, des enfants qu’il drogue et viole dans le cimetière avoisinant l’université, ce qui le conduit derrière les barreaux : “Voilà. C’est ainsi que Charles Laforêt, docteur en théologie et en droit, recteur, membre de l’Opus Dei, pédéraste abuseur, contrebandier d’alcool et trafiquant de drogue présumé s’est retrouvé en garde à vue” (DMM 292). En fait, le portrait du recteur est le plus noir d’entre tous, ce qui confirme l’impression que la satire est proportionnelle au pouvoir institutionnel imputé aux universitaires de papier[30]. | ||||||||||||
13 | Les deux tendances dominantes des fictions universitaires, la satire et la romance[31], jouent pour beaucoup dans le mode de représentation de l’éros pédagogique. Dans les romans humoristiques, plus près du campus novel classique, il apparaît souvent comme le plus banal des vices associés aux figures professorales. Dans les fictions davantage liées à la romance, la relation intime structure l’ensemble du récit, et l’humour cède le pas au drame. | ||||||||||||
Ragots et clichés : le piratage sexuel en régime satirique | |||||||||||||
14 | Au sein du corpus, 8 des 11 romans présentent les relations intimes entre professeur·e·s et étudiant·e·s sur le mode satirique. L’entorse éthique n’est pas dépliée dans la narration, sa seule mention sert à égratigner au passage les puissants de l’université, en même temps qu’elle participe de la logique du star-système, comme le remarque Martine Delvaux : | ||||||||||||
[C’est] l’autre histoire qu’écrivent ces histoires de professeurs qui couchent avec leurs étudiantes : celle de la rumeur qui occupe les esprits curieux de savoir qui couche avec qui. Quel savoir est transmis quand l’université prend l’allure d’un journal à potins où on suit les mouvements de ses stars ? Parce que coucher avec les étudiantes, c’est aussi une façon de se hisser dans le firmament des vedettes. La people-isation universitaire en passe aussi par le lit.[32] | |||||||||||||
15 | Ironique, le narrateur de L’impudeur décrète ainsi : “l’université était une immense fabrique à médisances et à mots d’esprit” (I 128). La luxure serait une tare contemporaine, comme en témoigne la loufoque théorie du même narrateur : | ||||||||||||
Jadis, les professeurs d’université étaient de vieux messieurs sages et austères qui avaient beaucoup lu et n’avaient pas fait grand-chose dans leur vie. Partout où ils allaient, ils transportaient avec eux l’odeur des vieux livres moisis. Mais, à partir de la fin des années soixante, était apparue une nouvelle génération de maîtres, qui délaissèrent de plus en plus la morosité des bibliothèques pour goûter aux plaisirs de la liberté sous toutes ses formes. Les liaisons entre professeurs et étudiantes se multiplièrent ; elles devinrent presque la norme lorsque les quinquagénaires de la Révolution sexuelle […] découvrirent dans les années quatre-vingt-dix l’usage inespéré du Viagra. La conjoncture historique était aussi très propice à ce type d’union depuis que les trois quarts des jeunes femmes, provenant de familles éclatées, étaient à la recherche de papas de remplacement. Ainsi, il n’était pas un professeur sur le compte duquel ne circulait quelque histoire, que tous tenaient généralement pour vraie. […] [Suivent près de deux pages d’exemples de liaisons scabreuses entre professeurs et étudiantes] (I 97-99). | |||||||||||||
16 | On accueille les ragots sans broncher, comme Alexandre, dans Carnets de naufrage, qui ne s’étonne pas d’apprendre que son “ancien directeur de mémoire […] avait été destitué temporairement de ses fonctions à la suite d’une nébuleuse affaire d’attentat à la pudeur à l’endroit d’une étudiante de première année” (CN 108). Ce professeur est un être “machiavélique et excessif, toujours prêt à dépasser les bornes pour le seul plaisir esthétique de la chose” (CN 109). La perversité du professeur apparaît ici comme une déformation professionnelle. | ||||||||||||
17 | Paradoxalement, l’ampleur des ragots est proportionnelle au magnétisme qu’exercent les principaux intéressés dans leur milieu. Ils fascinent d’abord pour leur aptitude à la prédation, comme Georges Marguerite, le croqueur d’étudiantes par excellence qui a élaboré une tactique infaillible à laquelle succombent de nouvelles jeunes femmes, année après année. Le “stratagème” était si bien établi et les témoignages de victimes si semblables “qu’il était devenu envisageable d’en faire une analyse morphologique à la manière de Vladimir Propp dans sa célèbre étude sur les contes folkloriques de Russie” (I 102). Le narrateur en convient, il est “d’ailleurs à peine croyable que Marguerite ait pu échapper jusque-là au scandale” (I 102). | ||||||||||||
18 | Le milieu fait preuve d’une relative tolérance envers les professeurs de désir. Qu’ont en commun les ragots et les contes ? Peut-être des morphologies reconnaissables, sans doute une volonté de distraire. La présentation carnavalesque de ces débordements les dénude au passage d’une encombrante gravité. D’ailleurs, l’indifférence du décanat face aux accusations, dans Scrapbook, suggère un laisser-aller patent : “N’eût été le passé de Bernard, le doyen de la Faculté des arts se serait probablement contenté d’émettre un simple avertissement. Mais comme le dossier du professeur incriminé en contenait déjà deux […], la mesure disciplinaire avait été plus sévère” (S 293-294). Il est à noter que Bernard est dénoncé par nulle autre que la féministe de service, Mme Dubois (la “rabat-joie”, dirait Sara Ahmed). | ||||||||||||
19 | Peut-être parce que les ficelles du pouvoir et du sexe sont activées par les mêmes mains habiles, l’image du marionnettiste est parfois utilisée pour représenter l’ascendant des professeurs sur leurs étudiantes. Dans Catastrophes, Hervé Dubonnet est un éditeur influent, professeur d’université de surcroît, ce qui fait de lui “un adversaire redoutable, [car] il sait qu’il tire plus de ficelles qu’un marionnettiste tchèque” (C 95). L’une de ces marionnettes est Gwendoline, candidate au doctorat dirigée par Dubonnet. Dans La brèche, roman dont il sera surtout question dans la partie suivante, Émilie-Kiki songe avec amertume que son amant doit savourer le pouvoir qu’il exerce sur elle : “Oui, sa supériorité de prof, d’homme, d’amant doit en avoir pour son argent, il doit avoir l’ego gonflé comme une montgolfière, il doit se sentir l’homme le plus sexy de la terre, le Ricky Martin de l’université, le contrôleur de marionnettes suprême” (LB 97). L’énumération des rôles (prof, homme, amant) peut se lire comme un decrescendo fluide, un passage naturel des facultés intellectuelles aux basses pulsions charnelles. Dans une perspective intersectionnelle, d’autres privilèges (homme, argent) accroissent l’écart hiérarchique entre le marionnettiste et sa maîtresse-pantin, une étudiante, femme, pauvre[33]. | ||||||||||||
20 | Le pouvoir de Tchéky K. passe avant tout par sa logorrhée intempestive, l’arme de prédilection des littérateurs. Avant et après l’amour, il assène à Émilie-Kiki de longs monologues sur Kafka, dont il est spécialiste. Tchéky K. – l’onomastique tel un clin d’œil à son sujet de prédilection –, trouve un frère en le professeur Ménard, du roman Tarquimpol. Dans une scène où son directeur de thèse tente de charmer sa propre amoureuse, le narrateur-narrataire (qui s’énonce au “tu”) décrit le libidineux professeur, ainsi que son angle d’attaque : | ||||||||||||
Ménard était en verve. La présence d’Alya, qui lui plaisait manifestement, semblait le stimuler. Tu l’avais choisi comme directeur à cause de sa réputation de kafkalogue, sans savoir que c’était aussi un tombeur réputé. On disait qu’il était passé sur tout le monde, au département, les hommes comme les femmes et la plupart des couples. […] Pour l’instant, Ménard était déterminé à vous instruire de sa science. En trois coups de cuiller à pot, la discussion devint un monologue autour de ses théories sur Kafka. (T 50) | |||||||||||||
21 | Ménard se lance dans une vertigineuse démonstration sur le rôle sexuel caché de Leni, personnage énigmatique du Procès. Pour David Bélanger, le fait que les professeurs soient spécialistes de Kafka ne relève pas du hasard, puisque le fantôme de Kafka flotte dans la “littérature québécoise contemporaine [et] prend la forme d’une lutte institutionnelle franche, mise en scène, entre la critique et la création, et corollaire, entre l’édition et l’université”[34]. Un spécialiste de Kafka est d’autant plus imposant, donc risible, dans la fiction, que son domaine d’expertise est canonique : la lourdeur de l’apparat critique qu’il charrie se prête bien à la récupération caricaturale. Placé en opposition avec l’étudiant·e, ce professeur représente la Loi à laquelle tentent d’échapper ses “victimes”, selon David Bélanger, qui précise que cela est vrai surtout au féminin : “victime de quoi ? Comme Joseph K., on peut dire, d’une façon générale, qu’elles [les étudiantes] sont victimes de la loi qui a pour unique fonction de les rendre victimes”[35]. Victimes parce que la Loi existe, dit Bélanger, et victimes dans le roman de l’étudiant·e en lettres parce que “le comique impose sa loi”[36], ajouterais-je. Quoi qu’il en soit, la glose du spécialiste ne laisse aucune place au dialogue, puisque le professeur ne s’intéresse qu’à lui-même ; c’est “un intellectuel avec deux cerveaux, un pour envoyer chier l’autre” (LB 121). Le bavardage serait d’ailleurs le propre des profs fictifs, selon Christian Gutleben : “De même que l’universitaire est réduit à une surface sans profondeur, son métier de penseur est réduit à un bavardage asphyxiant”[37]. | ||||||||||||
22 | Les êtres de désir sont aussi estimés pour leur pouvoir subversif. Par exemple, le dangereux professeur Minski, du polar Le corps des femmes est un champ de bataille, paraît beaucoup plus intéressant aux yeux de l’étudiante que l’inoffensif professeur McPherson. Ce dernier est impeccable, si ce n’est qu’il est partisan de l’indépendance du Québec ; c’est son seul “vice”[38]. L’étudiante compare mentalement les deux chercheurs : “C’est peut-être à cause de [son humanisme] que ses articles sur mes deux écrivains fétiches n’ont pas eu sur moi l’impact de ceux de Minski. Il y a chez McPherson une retenue, une bienveillance qui, certes, n’invalide pas ses jugements, mais leur enlève un certain punch” (CDF 49-50). De son côté, Minski a été renvoyé de l’université “à la suite de scabreuses activités impliquant des étudiantes” (CDF 51). On raconte sur lui les pires atrocités : | ||||||||||||
Là, les blogues se déchaînent. Orgies nocturnes, dont certaines dans les bassins du campus universitaire de Calgary, menaces de mort, exhibitionnisme délirant pendant ses cours, violences verbales auprès de ses confrères, apologie à peine dissimulée de la nécrophilie et, cerise sur le gâteau, accusation par un de ses collègues du département de théologie d’avoir les pieds fourchus ! (CDF 52) | |||||||||||||
23 | L’étudiante soupèse le danger et l’attirance que lui inspire le fourbe : “L’individu est répugnant, tant dans son aspect physique que dans l’espèce d’aura maléfique qu’il dégage, mais sa séduction est inversement proportionnelle” (CDF 101). | ||||||||||||
24 | Il semble que le potentiel de subversion soit directement convertible en capital symbolique. Les nombreuses associations entre l’arrogance, le sexe et le savoir, dans le corpus, en font foi. Dans L’amour des maîtres, le docte Julien Élie est admiré par ses collègues, en raison de “l’arrogance irrésistible avec laquelle il répandait son savoir, comme du foutre précieux”[39]. L’aplat thématique permet de ramener les considérations intellectuelles sur le même plan que les fluides corporels[40]. L’architecture universitaire réverbère d’ailleurs cette association entre sexe et savoir (et, par extension, sexe et pouvoir), dans La dot de la Mère Missel. Les études littéraires représentent un choix subversif, à l’image du pavillon des lettres, “une belle tour d’ivoire ostentatoire lancée tel un glaive vengeur et phallique pour enculer le ciel” (DMM 18). On dit encore du pavillon principal que sa “tour bande avec détermination vers les étoiles” (DMM 285). | ||||||||||||
25 | Mais au-delà du trope, certains écrivain·e·s utilisent l’éros pédagogique comme moteur romanesque. Dans ces cas, l’humour gras est inexistant. Que reste-t-il de la dynamique quand la satire cède le pas au drame? | ||||||||||||
Éros dramatique | |||||||||||||
26 | Dans les romans structurés par l’éros pédagogique, il y a un clivage marqué selon que la relation existe entre un professeur et son étudiante (La brèche, L’amour des maîtres), ou entre une professeure et son étudiant (Enthéos). Si le potentiel dramatique de ces romans réside dans la reprise de pouvoir des figures estudiantines, force est de constater que la figure mentorale sert finalement, pour les héroïnes, de repoussoir, tandis qu’elle agit comme un catalyseur positif chez le seul étudiant masculin impliqué dans une relation intime avec une professeure. | ||||||||||||
27 | Les représentations de couples professeure-étudiant devraient être analysées en série afin de voir se dessiner des tendances narratives. Deux hypothèses peuvent quand même être lancées pour tenter d’expliquer cette exception à la règle. D’une part, le roman Enthéos s’apparente à la tendance Dappled Quads[41] des fictions universitaires, décrite par Merritt Moseley. Ces romans, on s’en souvient, sont dithyrambiques envers l’université et ses avatars, ce qui marque un pas de côté par rapport au reste de la production. Il n’y aurait donc que peu ou pas de place pour la critique dans ce genre de fictions. La deuxième hypothèse a trait au processus de délestage, typique de la Bildung, à laquelle se rattachent les romans de l’étudiant·e en lettres. Le mentorat peut faciliter le processus de “délestage” (“shedding”) nécessaire à l’évolution du protagoniste, et cela est d’autant plus vrai dans le roman d’apprentissage au féminin : “Shedding, in the female Bildungsroman, involves a significant act whereby the heroines rid themselves of excess baggage as they proceed in their life’s journey”[42]. Les poids personnels dont doivent se délester les héroïnes pour faire avancer leur quête identitaire peuvent comprendre la culpabilité, la peur, les préjugés et la haine de soi (“guilt, fear, prejudice, and self hate”[43]). Les personnages masculins sont eux aussi susceptibles de performer ce délestage, mais l’enjeu est moins grand, argue Lena M. Nunez, puisqu’ils opèrent depuis une position dominante (“a position of strength”[44]). Cela pourrait expliquer en partie que le protagoniste de Enthéos ne soit pas “écrasé” par sa professeure. Leur relation est fondée sur le “partage. Un partage de la connaissance” (E 129). “Et elle [l’enseignante] le partage sans retenue. Par plaisir. Pour le simple fait de partager. La connaissance, la passion” (E 252). Cette relation de pouvoir horizontale n’a rien à voir avec “l’interdit vertical” qui régit les autres relations entre professeurs et élèves, où “le professeur donne l’impression de tirer l’étudiante vers le haut, le savoir et l’argent, alors que dans les faits, il la laisse là où elle est. Parce que ce qu’il aime, justement, c’est le pouvoir”[45]. Le héros de Enthéos n’a pas à rejeter l’autorité du spécialiste pour réaliser sa quête initiatique, contrairement à ses analogues féminins. | ||||||||||||
28 | Pour David Bélanger, le rejet du spécialiste s’observe particulièrement bien chez les personnages féminins : | ||||||||||||
Étudiante et écriture sont victimes, dans les textes, parce qu’elles n’appartiennent pas encore, de par leur liberté, leur nécessaire candeur, leur inconscience désirée, au système en place qui tente de les corrompre. Elles s’avèrent alors placées contre l’université, contre l’institution (symbole du mort-vivant, écrivait Nepveu), contre, en fait, le spécialiste.[46] | |||||||||||||
29 | Si une telle binarité peut faire sourciller, il faut se rappeler qu’elle est constitutive de la production. La notion de simplification est centrale; il s’agit d’un trait distinctif de l’imaginaire universitaire tel qu’il s’incarne dans les romans, et qui a sans doute peu à voir avec le monde réel de l’université. Dans les fictions recensées, l’héroïne doit négocier avec un (homme-)système hostile, ce qui est typique de la Bildung au féminin : | ||||||||||||
Dans les nombreuses études féministes existant à propos du Bildungsroman, […] l’apprentissage se caractérise surtout par la représentation de personnages féminins qui se libèrent des valeurs patriarcales en se repliant sur eux-mêmes. En effet, un grand nombre d’articles soulignent comment les personnages féminins se réalisent et viennent à la connaissance d’elles-mêmes seulement après s’être écartés, symboliquement, de la société.[47] | |||||||||||||
30 | L’imaginaire social de la création étant profondément marqué par la domination masculine, les héroïnes doivent négocier leur autonomie dans un cadre patriarcal opprimant. Dans L’amour des maîtres, Agnès n’ose pas d’emblée pénétrer dans ce que ses professeurs nomment explicitement le “territoire phallique de la création” (AM 44). De son côté, la narratrice de La brèche dénonce avec violence[48] l’assujettissement dans lequel se trouvent les étudiantes devant les savants : | ||||||||||||
[Les professeurs] se racontent des histoires dans lesquelles ils sont les maîtres de l’univers donc ils ont le droit, si le cœur leur en dit, de se maquiller et de baiser toutes leurs étudiantes, les unes par derrière les autres, toutes à genoux dans une salle de cours, le trou humide à l’air qui sourit sous les néons, trop contentes d’être pénétrées par la science infuse. (LB 37) | |||||||||||||
31 | Les amoureuses sont toujours en “dette” envers le spécialiste qui “autorise” leur vocation. En bon “père”, Tchéky K. a un jour confié à son petit “Kiki” : “[T]u es un écrivain, tu es un écrivain. Je crois en toi, m’entends-tu, Kiki ?” (LB 29 ; l’autrice souligne). Yvon Rivard a raison de dire que “[l]e pouvoir de Tchéky, c’est le pouvoir de la littérature sur Émilie [sic] qui veut devenir écrivain”[49]. Ce pouvoir de dévoilement est encore plus manifeste dans L’amour des maîtres. Agnès tremble de bonheur en sortant du bureau – du bordel[50] – du professeur Julien Élie, après que ce dernier lui ait dit : “Vous voulez devenir écrivain ? Apportez-moi ce que vous écrivez et je vous dirai si vous pouvez écrire” (AM 125). Il n’en faut pas plus pour qu’Agnès se sente “soudainement autorisée à écrire” (AM 126)[51]. | ||||||||||||
32 | La soumission érotique au maître peut donc catalyser la quête de la personne mentorée. Par contre, ces dynamiques “présentent rarement une issue heureuse. C’est en s’extirpant de l’emprise de l’Autre, voire en se rebellant, que le mentoré parvient à s’accomplir réellement et à cheminer”[52]. Chez les mentorées Émilie-Kiki et Agnès, la reprise de pouvoir s’opère par l’écriture. | ||||||||||||
33 | Le roman La brèche relate l’idylle entre la narratrice et son professeur. À la fin du texte, la première affirme : “Moi, mon livre, je l’écris sur sa peau, à même sa vie, je creuse dans sa chair notre histoire, The Pillow Book, mon encre s’incruste dans ses pores, ça ne partira pas, je ne partirai pas, il restera marqué de toute façon, je vole sa peau pour écrire le livre de ma vie” (LB 147). Elle reprend en quelque sorte ses droits sur le professeur, qui a le pouvoir de “corriger [sa] peau avec son crayon rouge, il peut écrire C’est bien ou Ce n’est pas bien […]” (LB 16)[53]. Dans L’amour des maîtres, le triomphe est loin d’être définitif. Agnès rejoint malgré elle le clan des “vieilles maîtresses acquises” (AM 235) après avoir été rejetée d’une manière humiliante. Le professeur s’est trouvé une nouvelle proie, et sa mécanique de séduction apparaît parfaitement huilée au regard désabusé de la narratrice : “J’assistais, impuissante, à la comédie de Julien Élie” (AM 204-205). L’étudiante développe malgré tout une pratique d’écriture émancipatrice. Elle publie dans le journal départemental des textes inspirés de sa relation avec le maître. Si le professeur s’inquiète de la teneur autobiographique des récits, pour Agnès, il s’agit d’une voie émancipatrice : “Maintenant, publier mes écrits, c’était comme une manière de dire à celui qui m’avait trahie : Tu vois, tu ne m’as pas tuée. J’existe encore ! […]” (AM 219). | ||||||||||||
34 | Le dévoileur (le théoricien) est à son tour dévoilé grâce à l’impudeur autofictive[54]. La reprise de pouvoir des étudiantes passe ainsi par l’écriture : à leur corps défendant, elles soutiennent une écriture du corps qui leur permet de réifier les maîtres à leur tour, d’en faire les objets de leurs créations. | ||||||||||||
L’avenir des fictions universitaires : trêve de plaisanterie? | |||||||||||||
35 | Les romans de l’étudiant·e en lettres paraissent résister au réel pour lui préférer un tiers espace constitué de lieux communs, de tensions anciennes et de mythes sans cesse réactualisés. L’exiguïté du “tout petit monde”[55] universitaire ne proviendrait pas que de l’habitus de ses avatars, mais également d’un encodage relativement uniforme. L’université représente “un lieu clos, une micro-société hyper hiérarchisée dont les règles ne demandent qu’à être transgressées. Par les personnages et par l’écrivain”[56]. Un tel esprit de dérision (ou de critique) est conforme aux romans universitaires, qui insistent sur les débordements d’un milieu austère, offrant une présentation synecdochique de l’alma mater. Par le biais d’hypostases, les écrivain·e·s disent leur expérience plus ou moins commune de l’enseignement de la littérature, et c’est ce savoir particulier – déformé à différents degrés – qui est transmis dans la fiction, de manière tantôt bouffonne, tantôt caustique, et plus rarement romantique. C’est dire que les romans de l’étudiant·e en lettres se décodent d’abord par rapport aux autres œuvres du même type, et, ensuite, par rapport à l’imaginaire social qui les génère. | ||||||||||||
36 | Il n’en demeure pas moins frappant que le pouvoir institutionnel déborde dans le sexuel : le territoire phallique de l’université est peuplé par des êtres d’autant plus puissants qu’ils sont déviants. Le professeur (surtout masculin) personnifierait ce que David Bélanger nomme le “démon théorique”[57], soit l’autorité discursive de l’université, contre laquelle les créateurs et surtout les créatrices contemporain·e·s doivent se débattre pour assurer leur légitimité : | ||||||||||||
disqualifiant le spécialiste, les romans ne disent pas une fatuité personnelle, ils disent l’erreur d’un ordre discursif, ou, plus encore, l’erreur d’un système qui assure à cet ordre de discours la place de choix qui est la sienne. La lutte contre le spécialiste constitue alors une lutte contre la spécialisation de la littérature.[58] | |||||||||||||
37 | À l’ère du mouvement #MoiAussi, on pourrait s’attendre à voir les stéréotypes de l’éros pédagogique être exploités différemment. Sans faire partie de la veine universitaire, des romans comme Le consentement (2020) de Vanessa Springora, L’apparition du chevreuil (2019) d’Élise Turcotte et, plus près de mon objet, Le sang du cerf (2012) de Rosalie Lavoie sont autant de manifestations d’un renversement des perspectives, comme l’observe Marie Hélène Poitras dans un article titré “Écrire après #MoiAussi”[59]. Partant de là, on peut difficilement imaginer que l’humour “mononcle”[60] puisse perdurer : c’est pourtant ce qui a prévalu dans les fictions universitaires, depuis un siècle. Si Martine Delvaux remarque que le roman La brèche, tout comme le film Le déclin de l’empire américain de Denys Arcand à l’époque (1986), n’ont pas suscité de débat de société[61], on peut au moins s’attendre à voir se modifier considérablement les campus novels et autres succédanés, dans un avenir proche. De nouveaux venus sur le marché du livre anglophone paraissent conforter cette hypothèse d’un virage éthique, voire queer, de la production. Pensons seulement à Real Life (2020), premier roman de l’Américain Brandon Taylor, qui aborde l’homophobie, le racisme, les violences sexuelles. Je pense aussi à un autre campus novel récent, The Red Word (2018), de Sarah Henstra, qui se penche sur la culture du viol au sein des campus. Le livre a valu à l’autrice canadienne le prix littéraire du Gouverneur général. Dans un communiqué de presse, les jurés Andrea MacPherson Shani Mootoo et Craig Francis Power résument leur ravissement : “Groundbreaking and provocative, this is an astonishing evisceration of the clichés of sexual politics as they exist not only on our college campuses, but also within broader present-day society.[62]” Cette œuvre et ce commentaire qu’elle suscite laissent croire à un élargissement du cadre et de la portée du “tout petit monde” universitaire. | ||||||||||||
Karol’Ann Boivin | |||||||||||||
Notes
[1]Pierre Tourangeau, La dot de la Mère Missel, Montréal, XYZ éditeur, 2000, p. 245 – dorénavant DMM.
[2]J’ai exposé les particularités des romans de l’étudiant·e en lettres dans mon mémoire de maîtrise, grâce à une analyse synchronique de onze romans québécois récents. Voir Karol’Ann Boivin, Figures d’étudiant·e·s en lettres dans le roman québécois (2000-2015). Les années d’apprentissage d’un “tout petit monde” universitaire, Mémoire (M.A.), Université de Sherbrooke, 2019, 220 p. Cet article découle en partie du quatrième chapitre de mon mémoire.
[3]Les romans de l’étudiant·e en lettres s’apparentent le plus souvent à la tendance Not so Dappled des romans universitaires, tels que définis par Merritt Moseley, par opposition aux romans Dappled Quads, qui reconduisent une vision idyllique de l’université. La particularité des romans Not so Dappled est de présenter les différentes facettes de la réalité étudiante en insistant sur ses défis et ses déboires : “These novels focus more firmly and perhaps clearly on the real conditions of student life; they are more likely to include eating disorders, suicide, unwanted pregnancy, study, and fear of failure than to celebrate leisurely laughter from pinnacle colleges resounding down thousand-year-old stone passageways. They are also much more interested in the grubby details of student life – love, for instance […], or social-climbing […], or drinking and partying […] or work-avoidance”. Voir Merritt Moseley, “Types of Academic Fiction”, The Academic Novel : New and Classic Essays, Chester, Chester Academic Press, 2007, p. 104.
[4]Elaine Showalter, Faculty Towers. The Academic Novel and Its Discontents, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 4.
[5]Jean-Jacques Simard, “Détournement de mineurs. L’éducation québécoise à l’heure de la bureaucratie scolaire”, Imaginaire social et représentations collectives. Mélanges offerts à Jean-Charles Falardeau, sous la direction de Fernand Dumont et Yves Martin, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1982, p. 408-409.
[6]Alain Roy, L’impudeur, Montréal, Boréal, 2008, p. 106 – dorénavant I.
[7]Il s’agit du leitmotiv du roman. Marie-Sissi Labrèche, La brèche, Montréal, Boréal, 2002, p. 11 – dorénavant LB.
[8]Les fictions universitaires sont souvent dévalorisées en raison de leur manque d’originalité, de leur autoréférentialité facile ou plus simplement de leur répétitivité. C’est ce qu’en pense notamment Ian Carter, qui affirme qu’il suffit d’avoir lu une de ces histoires pour avoir le sentiment de les avoir toutes lues. Voir Ian Carter, Ancient Cultures of Conceit : British University Fiction in the Post-War Years, London, Routledge, 1990, p. 15. Elaine Showalter a raison d’affirmer que l’ennui d’Ian Carter est lié au fait qu’il lit les œuvres depuis une position de sociologue : “For English professors, this repetitiveness also means that the novels operate on a set of conventions, themes, tropes, and values. Having read all the novels before gives us the distance on their narrative strategies and turns easy identification into something more intellectual”. Elaine Showalter, Faculty Towers. The Academic Novel and Its Discontents, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 3.
[9]Parce qu’elles relèvent de l’imaginaire, les représentations n’ont pas à être fidèles à la réalité : “[e]t c’est parce que les représentations, en ce sens, ne sont pas ce qu’elles représentent qu’elles peuvent contribuer, précisément, à façonner et à construire ce dont elles tiennent lieu”. Voir Alex Gagnon, La communauté du dehors. Imaginaire social et représentations du crime au Québec (XIX-XX siècle), Thèse (Ph. D.), Université de Montréal, 2015, p. 77. Corollaire, le concept d’imaginaire social doit toutefois être mobilisé avec prudence : les romans de l’étudiant·e en lettres créent une brèche, ouvrent certes une porte sur l’imaginaire des études littéraires, en en offrant un véhicule privilégié, mais l’imaginaire universitaire est irréductible au seul matériau romanesque.
[10] C’est l’objet de ma thèse, en cours.
[11] Les romans universitaires ne sont plus la chasse gardée des littératures anglaise et américaine. Comme le remarque Elisabeth Philippe : “Joie de la mondialisation, des auteurs venus d’autres horizons géographiques s’en emparent à leur tour : des Espagnols comme Javier Marías (Le roman d’Oxford) ou tout récemment Sara Mesa (Quatre par quatre), l’Argentin Ricardo Piglia (Pour Ida Brown) et même le Français Alexandre Postel avec son premier livre Un homme effacé”. Voir Elisabeth Philippe, “Profs névrosés, étudiants dépravés : pourquoi les campus novels ont tant de succès?”, Les Inrockuptibles, 25 mai 2015, URL : https://www.lesinrocks.com/2015/05/25/livres/livres/profs-nevroses-etudiants-depraves-pourquoi-les-campus-novels-ont-tant-de-succes/.
[12] André Brochu, “Hébert, François. 1980. Le Rendez-vous. Montréal, Éditions Quinze, 235 p.”, Voix et Images, vol. 6, no 3, printemps 1981, p. 487. Michel Nareau partage cette impression : “Sûrement un effet de la double fonction des écrivains — le métier alimentaire des auteurs est souvent dans le domaine de l’enseignement —, les récits qui se passent à l’école et au collège sont très nombreux au Québec. Sans qu’un sous-genre ait émergé comme le campus novel aux États-Unis, la relation pédagogique et les entraves à l’apprentissage sont des sujets traités fréquemment dans le roman québécois, mettant en scène le microcosme de la classe, avec ses trajectoires personnelles, ses conflits, ses rapports d’autorité.” Voir sa critique “La classe est un théâtre”, dans “Roman Thomas Dupont-Buist, Caroline R. Paquette, Michel Nareau, Paul Kawczak et Marie-Michèle Giguère”, Lettres québécoises, n° 168, hiver 2017, p. 38.
[13] Robert Dion a aussi observé que le discours critique dans les fictions était souvent le fait d’universitaires. Robert Dion, Le moment critique de la fiction. Les interprétations de la littérature que proposent les fictions québécoises contemporaines, Montréal, Nuit blanche éditeur, 1997, p. 189.
[14] Marie-Christine Arbour a étudié la littérature et la philosophie, Pierre Tourangeau est diplômé en littérature et en éducation, Guillaume Vigneault détient un baccalauréat en études littéraires, Marie-Sissi Labrèche a complété un programme de maîtrise en création littéraire, Nadine Bismuth et Serge Lamothe ont obtenu une maîtrise en littérature française. Alain Roy a fréquenté l’Université McGill et a obtenu la médaille d’or du Gouverneur général du Canada pour son mémoire de maîtrise en création littéraire, puis il a complété un doctorat et un postdoctorat, s’intéressant à Guy de Maupassant, ainsi qu’à Gabrielle Roy. Julie Gravel-Bouchard est détentrice d’une maîtrise en histoire grecque, tandis que Mélissa Grégoire enseigne la littérature. Plus éclectique dans son parcours, Laurent Chabin a étudié le cinéma, l’arabe littéraire et le commerce. Pierre Samson m’a affirmé avoir décroché de ses études littéraires après avoir récolté une poignée de crédits, ne supportant plus certains professeurs!
[15] L’appellation “roman universitaire” inclut le campus novel et désigne “tout roman dont le monde universitaire constitue le cadre principal et dont les préoccupations universitaires constituent un thème essentiel”. Christian Gutleben, Un tout petit monde. Le roman universitaire anglais – 1954-1994, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1996, p. 6.
[16] Martine Delvaux observe aussi que le géant Goodreads.com “compte plus de deux mille titres de romans ayant pour trame principale une histoire amoureuse entre un professeur et une étudiante”. Martine Delvaux, “Qui aime? Qui enseigne?”, Post-scriptum, no 17, septembre 2014, URL : https://post-scriptum.org/17-07-qui-aime-qui-enseigne/.
[17] “Inevitably, because it has now become the template for expressing all conflict, there is a sexual-harassment case in the English department at State”, affirme Elaine Showalter en traitant du roman Homes (2001), de Hazard Adams. Elaine Showalter, op. cit., p. 151. Elle considère même qu’il s’agit de la trame dominante du campus novel américain centré sur le personnage de professeur·e, dans la première décennie du XIX
[18] Georges Watson, “Fictions of Academe: Dons and Realities”, dans Merritt Moseley (dir.), The Academic Novel : New and Classic Essays, Chester, Chester Academic Press, 2007, p. 33.
[19] L’expression est empruntée à Martine Delvaux, qui explique que des étudiantes engagées auprès de professeurs de désir désinvestissent l’université, quittent “ce no man’s land où tout est permis puisque rien n’est interdit. Abandonne[nt] cette université qui ainsi restera ce qu’elle a toujours été : un boys club”. Martine Delvaux, op. cit.
[20] Non seulement les femmes sont sous-représentées dans le corps professoral fictif (moins de 21%), mais cette représentation est également inférieure aux statistiques relatives à la proportion réelle de femmes professeures au Canada. En 2002-2003, ce pourcentage était de 29,9%, contre 19,6% en 1990-1991. Voir Deborah Sussman et Lahouaria Yssaad, Les femmes dans l’enseignement universitaire, produit n° 75-001-XIF au catalogue de Statistique Canada, Ottawa, février 2005, URL : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75-001-x/10205/7782-fra.pdf. C’est dire que les représentations accusent un certain retard sur les données sociographiques. Ce retard peut s’expliquer en partie par le fait que l’imaginaire social est plus ou moins stable et durable. Alex Gagnon précise le fonctionnement dynamique de l’imaginaire social, dont les produits “réunissent ou conjuguent deux types d’éléments, des éléments cardinaux ou structuraux, puisés dans de vastes répertoires culturels communs (des archétypes, des obsessions, certaines positions binaires traversant les siècles et les cultures, des grands mythes, etc.), et des éléments plus conjoncturels, attachés à des contextes historiques plus précis et plus évanescents, plus vulnérables au passage du temps”. Alex Gagnon, La communauté du dehors. Imaginaire social et représentations du crime au Québec (XIXe -XXe siècle), Thèse (Ph. D.), Université de Montréal, 2015, p. 75.
[21]N’en déplaise à Virginie Sauzon, qui ouvre un article sur ce constat optimiste : “Le stéréotype de la femme prétendument sans humour et celui de la féministe austère, longtemps utilisés comme moyen de décrédibilisation, semblent avoir fait leur temps, sauf à assumer une bonne dose de mauvaise foi.” Virginie Sauzon, “Le rire comme enjeu féministe : une lecture de l’humour dans Les mouflettes d’Atropos de Chloé Delaume et Baise-moi de Virginie Despentes”, Recherches féministes, vol. 25, no 2, 2012, p. 65, URL : https://id.erudit.org/iderudit/1013523ar.
[22] Nadine Bismuth, Scrapbook, Montréal, Éditions du Boréal, 2004, p. 167 – dorénavant S.
[23] Elaine Showalter, op. cit., p. 131.
[24] Ibid., p. 147.
[25] Sara Ahmed explique que la figure féministe rabat la joie par sa simple présence, charriant avec elle la menace de renégocier les places à la table du pouvoir. Voir Sara Ahmed. “Les rabat-joie féministes (et autres sujets obstinés)”, Cahiers du genre, vol. 2, no 53, 2012, p. 77-98, URL : https://www.cairn-int.info/revue-cahiers-du-genre-2012-2-page-77.htm.
[26] Si le structuralisme paraît complètement dépassé dans la plupart des romans à teneur universitaire recensés, le roman PsychoZe, de Marie-Christine Arbour, offre une immersion totale dans le structuralisme barthésien, par l’entremise d’un projet de mémoire. Cela n’empêche pas la directrice de maîtrise de rappeler à son étudiante passionnée que cette approche théorique est démodée.
[27] Guillaume Vigneault, Carnets de naufrage, Montréal, Éditions du Boréal, 2000, p. 257 – dorénavant CN.
[28] Julie Gravel, Enthéos, Sillery (Québec), Éditions du Septentrion, 2008, <Hamac>, p. 252 – dorénavant E.
[29] Yvon Rivard, Aimer, enseigner, Montréal, Éditions du Boréal, 2012, <Liberté grande>, p. 105.
[30]Ce constat corrobore l’hypothèse carnavalesque exposée en début d’analyse, d’autant que Rabelais ne cesse d’ironiser précisément sur les théologiens.
[31] Les véritables romans universitaires sont d’ailleurs irrigués simultanément par les deux tendances : “Le premier roman universitaire semble donc né de l’alliance inattendue de la romance et de la satire. De la première, il tient sa propension à raconter une histoire dont le déroulement schématique aboutit à une union amoureuse; de la satire, il hérite le goût de dénoncer les vices à travers des personnages outranciers. Cette pulsion narrative et ce goût de la caricature ne quitteront plus jamais le roman universitaire”. Christian Gutleben, op. cit., p. 28.
[32] Martine Delvaux, op. cit.
[33] Dans un article consacré aux dynamiques de pouvoir dans les salles de classe universitaires, Linda Briskin distingue cette “macroréalité des privilèges d’identité” de la circulation effective du pouvoir dans la salle de classe, lieu d’expression, mais également de négociation des identités (microréalité). Forte du legs foucaldien, elle insiste sur le fait que le pouvoir circule, qu’il n’est jamais statique. Linda Briskin, “Théoriser et négocier le pouvoir dans les salles de classe universitaires”, Recherches féministes, vol. 32, n° 1, 2019, p. 152, URL : https://id.erudit.org/iderudit/1062229ar. Dans maints romans à teneur universitaire, il y a sans doute un effet de cristallisation des rapports de pouvoir, surtout lorsque celui-ci sert une simplification carnavalesque. Dans la dernière partie de l’article, je montre toutefois que cela diffère dans les romans du corpus où les relations entre pédagogues et apprenant·e·s sont traitées dans un registre non humoristique.
[34] David Bélanger, Une littérature appelée à comparaître. Discours sur la littérature dans les fictions québécoises des années 2000, Thèse (Ph. D), Université du Québec à Montréal, 2018, p. 249.
[35] Ibid., p. 248.
[36] Christian Gutleben, op. cit., p. 53.
[37] Ibid., p. 61.
[38] Laurent Chabin, Le corps des femmes est un champ de bataille, Montréal, Coups de tête, 2012, p. 51– dorénavant CDF.
[39] Mélissa Grégoire, L’amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, p. 109 – dorénavant AM.
[40] Si Christian Gutleben le présente comme un mécanisme humoristique ancien et pérenne, particulièrement usité dans les romans universitaires, un article récent portant sur le nouveau campus novel révèle que ce dernier mise précisément sur le dégoût. Voir Kristina Quynn, “The Disguting New Campus Novel. Burping and vomiting on the way to academe’s collapse”, The Chronicle of Higher Education, 16 décembre 2019, URL : https://www.chronicle.com/article/the-disgusting-new-campus-novel/?cid=gen.
[41] Voir la note 3 pour de plus amples détails.
[42] Esther Kleinbord Labovitz, The Myth of the Heroine : The Female Bildungsroman in the Twentieth Century : Dorothy Richardson, Simone de Beauvoir, Doris Lessing, Christa Wolf, New York, Peter Lang, 1986, p. 253.
[43] Lena M. Nunez, “The Female Bildungsroman in George R.R. Martin’s A Song of Ice and Fire”, University of New Orleans Theses and Dissertations, printemps 2017, p. 9, URL : https://scholarworks.uno.edu/td/2349.
[44] Ibid.
[45] Martine Delvaux, op. cit.
[46] David Bélanger, “Fantôme universitaire et fantasme créateur : le roman québécois et le démon théorique”, Québec Studies, vol. 64, 2017, p. 51.
[47] Julia Elizabeth Morris, L’imaginaire au travail : le roman d’apprentissage au féminin québécois, Thèse (Ph. D.), Université d’Ottawa, 2010, p. 16.
[48] Quelques mots sur le style de Marie-Sissi Labrèche, l’une des pionnières, au Québec, à revitaliser la littérature du corps avec une écriture sans fard, montrant la sexualité au féminin “sans complexe” ; c’est une “vilaine fille”, tout comme son double fictionnel Émilie-Kiki. Isabelle Boisclair et Catherine Dussault-Frenette expliquent ce qu’elles entendent par “vilaines filles” : “Les vilaines filles se montrent rebelles : elles parlent fort, vocifèrent, crient leur rage, elles boivent, n’ont peur de rien et risquent tout. Elles délaissent les fictions des bonnes filles, sages, talentueuses, toujours belles, consentantes malgré elles aux désirs des autres. Elles dérogent aux normes, débordent la place assignée”. Isabelle Boisclair et Catherine Dussault-Frenette, “Mosaïque : l’écriture des femmes au Québec (1980-2010)”, Recherches féministes, vol. 27, n° 2, 2014, p. 49, URL : https://doi.org/10.7202/1027917ar.
[49] Yvon Rivard, op. cit., p. 107.
[50] Julien Élie fait office de prédateur, et son bureau, d’antre de la bête. Agnès le réalise trop tard : “Depuis quelque temps, il me semblait que la rumeur qui courait à son sujet parmi les étudiants s’intensifiait, que son bureau n’était rien d’autre qu’un foutu bordel” (AM 166).
[51] Il peut être pertinent de signaler que L’amour des maîtres a été édité sous la direction d’Yvon Rivard, et que les idées contenues dans le roman ne sont pas étrangères à la pensée rivardienne.
[52] Stéphanie Bernier, Au-delà de l’influence : le mentorat littéraire. Étude de la correspondance entre Louis Dantin et les Individualistes de 1925, Thèse (Ph. D.), Université de Sherbrooke, 2018, p. 321.
[53] Cette idée avait été énoncée dans Karol’Ann Boivin et Marie-Pier Luneau, “Figures d’étudiant.e.s dans les romans de la vie littéraire au Québec. Étudier en littérature : qu’ossa donne ?”, Figurer la vie littéraire, Cahiers ReMix, Observatoire de l’imaginaire contemporain (OIC), mars 2019, URL : http://oic.uqam.ca/fr/remix/figures-detudiantes-dans-les-romans-de-la-vie-litteraire-au-quebec-etudier-en-litterature.
[54] David Bélanger utilise l’expression “dévoileur dévoilé” pour caractériser Tchéky K., dont la luxure est exposée dans le roman La brèche. Voir David Bélanger, “Fantôme universitaire et fantasme créateur : le roman québécois et le démon théorique”, op. cit., p. 51.
[55] Chef de file en matière de campus novel, David Lodge résume ainsi son éloquente expression “un tout petit monde”, locution qui a servi de titre à un roman désormais canonique : “One reason, perhaps, [for the great appeal of the genre] is that the university is a kind of microcosm of society at large, in which the principles, drives, and conflicts that govern collective human life are displayed and may be studied in a clear light and on a manageable scale”. David Lodge, “The Campus Novel”, New Republic, n° 10, mars 1982, p. 34-35, cité dans Robert F. Scott, “It’s a Small World, after All: Assessing the Contemporary Campus Novel”, The Journal of the Midwest Modern Language Association, vol. 37, no 1, printemps 2004, p. 81-87.
[56] Elisabeth Philippe, op. cit.
[57] David Bélanger, “Fantôme universitaire et fantasme créateur : le roman québécois et le démon théorique”, op. cit., p. 47.
[58] Ibid., p. 63.
[59] Marie Hélène Poitras, “Écrire après #MoiAussi”, Le devoir, 8 février 2020, URL : https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/572402/ecrire-apres-moiaussi.
[60] Au Québec, l’expression caractérisait, jusqu’à tout récemment, un homme déplacé, grossier, un type social malgré tout toléré. Dans un article du Devoir traitant d’un documentaire de Fabien Cloutier, Louise-Maude Rioux-Soucy explique la mutation de “l’espèce” : “Le mononcle a la vie dure. Aux stéréotypes habituels (peu éduqué, mal embouché, fermé sur le monde) se sont ajoutés ceux d’une frange unanimement décriée (sexiste, grossier, voire carrément déplacé). Le comédien, dramaturge et humoriste Fabien Cloutier est parti sur les traces de ce personnage coloré apparu au Québec au XIX
[61] Martine Delvaux, op. cit.
[62] Jane Van Koeverden, “Here are the winners of the 2018 Governor General’s Literary Awards”, CBC. Books, 30 octobre 2018, URL : https://www.cbc.ca/books/here-are-the-winners-of-the-2018-governor-general-s-literary-awards-1.4882275.
2012 | Revue critique de fixxion française contemporaine | (ISSN 2033-7019) | Habillage: Ivan Arickx | Graphisme: Jeanne Monpeurt
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