L’immersion comme sur un fil : Geoffrey Le Guilcher et Jean-Baptiste Malet dans l’enfer du nouveau taylorisme | ||
1 | Deux lieux en France et une scène similaire : à Montélimar, comme en Bretagne, sur l’étendue sans fin d’un parking immense, un homme s’avance en direction d’un bâtiment gigantesque à peine dissimulé derrière des “panaches de brume” qui “donnent au site l’allure menaçante d’un cratère fumant”[1]. Le premier jour de labeur de ce nouvel ouvrier commencera sous peu dans cette usine semblable à un “volcan mécanique”[2] au réveil ; “[d]e loin, les véhicules dessinent de petites artères en mouvement ; le monstre respire”[3]. Il ne s’agit pas là d’un pastiche de l’incipit de Germinal, même si les descriptions d’usine teintées de fantastique dans les deux reportages contemporains dont ces passages sont issus, rappellent fortement les accents zoliens. Geoffrey Le Guilcher et Jean-Baptiste Malet ont publié chacun une enquête en immersion dans les coulisses de la consommation de masse. Le premier relate dans Steak Machine, paru en 2017, son expérience d’un mois dans un immense abattoir breton où il était affecté à la “chaîne bœuf”. Dans ce récit-document, Le Guilcher met surtout l’accent sur la dimension physique de l’expérience : chaque jour, la chaîne abat, dégraisse et découpe environ 600 bêtes. Dans la chaleur et le bruit, le gant en mailles et le couteau électrique sont lourds au bout du bras ; la répétition et la vitesse des gestes effectués abîment les mains, les bras, le dos. Les douleurs sont aussi au centre des nombreux moments qu’il partage avec ses collègues en dehors de l’usine : les soirées toujours chargées en alcool et en drogues sont des exutoires pour se réapproprier un corps en ruine. De son côté, pour écrire En Amazonie (2013), Jean-Baptiste Malet teste l’intérim dans un entrepôt logistique d’Amazon. Durant un mois, il est “pickeur” (littéralement, celui qui cueille) et doit arpenter d’immenses couloirs pour récupérer différents articles qui seront ensuite empaquetés par des packeurs et envoyés aux internautes. La cadence exigée par la direction est extrême – plusieurs milliers d’articles pickés et packés chaque nuit – et épuisante mais l’auteur entreprend surtout de dépeindre le management totalitaire de l’entreprise américaine, alimenté par des stratégies de psychologie sociale qui maintiennent sous pression des employés isolés et conditionnés au maximum. | |
2 | Les expériences immersives de ces deux journalistes se ressemblent. Ils ont voulu l’un comme l’autre percer le secret bien gardé des coulisses de deux symboles de la consommation de masse, l’industrie de la viande et le commerce en ligne. Leur image est contrôlée à l’excès : Amazon interdit à tous ses employés d’évoquer leur travail en dehors de l’entrepôt et les multinationales de la viande assument totalement la stratégie commerciale qui consiste à effacer de l’esprit du consommateur tout lien entre le steak et l’animal. Jean-Baptiste Malet et Geoffrey Le Guilcher ont réinventé leur CV et se sont fait intérimaires pour entrer sur le terrain par la porte de service, comme employé et non comme journaliste. Pour éviter qu’une recherche Google ne le trahisse, Le Guilcher opte même pour une transformation physique et donne son deuxième prénom à l’agence d’intérim qui le recrute. Cette imposture est présentée comme l’unique recours ; le secret qui masque l’identité du reporter s’oppose, comme une arme légitime, au secret qui entoure le terrain en question. L’infiltration, légitimée par l’enquête journalistique, est inscrite dans l’histoire de la presse depuis sa massification durant la deuxième moitié du XIX | |
3 | Le terme infiltration qu’utilise Geoffrey Le Guilcher, comme Jean-Baptiste Malet, met l’accent sur la clandestinité de l’expérience. Le terrain étant le point de départ de l’écriture, j’utiliserai pour ma part un terme qui le désigne davantage, celui d’immersion, préféré par les universitaires. Il s’agit en effet d’une immersion corporelle en ce qu’elle met en jeu les sens de l’infiltré, un mode d’enquête nécessaire pour tout reporter ; mais il s’agit également ici d’une immersion identitaire[6] qui fait du reportage une véritable expérience personnelle vécue par le journaliste, justifiant à la fois sa propre mise en scène et le recours à la première personne. Les récits produits répondent à des schémas narratifs semblables, proches de ceux que l’on retrouve dans les fictions : après l’épisode de l’embauche, les protagonistes se heurtent aux conditions de travail ; découvrent le rythme effréné d’un emploi répétitif et épuisant ; créent des liens avec leurs collègues ou bien expérimentent leur méfiance et enfin annoncent leur démission. L’expérience intense, nettement découpée dans l’espace et dans le temps, a presque une dimension initiatique et appelle des procédés littéraires. Si les ressorts de l’immersion dramatisent fortement le récit, celui-ci reste tout de même solidement encadré par des apports documentaires fournis, eux-mêmes appuyés par de nombreuses références en notes de bas de page. Le statut de l’ouvrage produit est donc ambigu : ni pleinement enquête journalistique, ni véritable littérature, Steak machine et En Amazonie sont d’ailleurs souvent classés dans le rayon sciences sociales des librairies, brouillant encore davantage leur appartenance en les rapprochant d’ouvrages universitaires. | |
4 | Cette confusion des champs due à l’immersion identitaire n’est pas nouvelle. L’immersion en général, et l’immersion en usine en particulier, s’inscrivent dans l’histoire d’une pratique de terrain partagée entre le journalisme, la littérature et les sciences sociales[7]. En France, en 1892, la journaliste Séverine infiltre déjà pour une journée une usine en grève[8] ; elle en ramène un récit enthousiaste aux accents lyriques d’une touriste ravie du voyage. Jacques Valdour, précurseur de l’enquête sociale[9], est l’un des premiers à se faire véritablement ouvrier entre 1909 et 1937 pour proposer des “observations vécues” de l’usine. D’autres expériences suivront, davantage tournées vers la sociologie, comme celle de Simone Weil en 1934[10] ou celles des premières observations participantes effectuées par des femmes sociologues dans les années 1950[11]. Plus tard, des militants maoïstes deviendront ouvriers, non pas dans une démarche heuristique mais par idéologie et pour vivre la lutte des classes de l’intérieur. L’un d’eux, Robert Linhart, publie L’établi en 1978, récit résolument littéraire où perce l’amertume de profondes désillusions idéologiques. L’expérience intense de l’immersion donne à tous ces récits une tonalité subjective qui complique leur classement. | |
5 | Les livres de Le Guilcher et Malet font partie de ces productions hybrides qui réintègrent le narratif dans le journalisme. Elles sont désignées par Robert S. Boynton comme un New New Journalism[12], c’est-à-dire comme le renouvellement actuel du New Journalism, courant américain du reportage contestataire des années 1970. Steak Machine et En Amazonie ont la particularité d’être tissés autour d’une contradiction entre la réalité infiltrée et les enjeux de l’enquête journalistique. De fait, l’intensité de l’expérience immersive est à la fois un atout et un risque pour l’enquête tout au long de son processus : du terrain à l’écriture et du récit à sa diffusion. Comment saisir avec le plus de justesse un terrain, l’usine et son travail à la chaîne, dès lors que les conditions de l’immersion deviennent rétives à l’investigation ? Comment mettre l’enquête en récit ? Comment éviter que sa médiatisation ne mette pas en avant l’expérience singulière au détriment de celles des ouvriers rencontrés ? Cet article se propose de débrouiller cette relation conflictuelle entre l’expérience du terrain et l’expression du réel pour les cas particuliers de ces deux livres. Il s’appuiera pour partie sur les entretiens réalisés avec chacun des deux auteurs[13] et se déroulera suivant les trois étapes que sont l’immersion sur le terrain, l’élaboration du récit et la diffusion des livres. | |
Le fil de l’immersion : quand l’indispensable intensité du terrain menace la maîtrise de l’infiltré | ||
6 | Le terrain est indispensable à une enquête réussie mais il peut aussi lui devenir hostile. La limite est donc parfois ténue entre une immersion nécessaire à l’enquête et une immersion qui lui devient néfaste. Cette limite est un fil rouge qui guide le reporter : il doit pouvoir tirer un profit documentaire de l’expérience sans basculer totalement dans le terrain et risquer de compromettre sa recherche ou bien lui-même. J’appellerai ici “fil de l’immersion” ce point d’équilibre entre observation et participation qui caractérise toute pratique de terrain immersive. Qu’elle soit journalistique ou ethnographique, l’enquête est déterminée par les choix successifs de l’enquêteur : jusqu’à quel point est-il prêt à s’investir sur le terrain ? Privilégiera-t-il le recul confortable de l’observation participante ou bien se risquera-t-il à une participation observante[14] ? Quels que soient ses choix, ce qui maintient le fil de l’enquête reste toujours la certitude que l’expérience prendra fin. Cette dimension éphémère empêche toute immersion identitaire d’être totale car si l’enquêteur, en s’assimilant, venait à perdre cette certitude, il n’y aurait plus de fil, plus d’enquête[15]. | |
Conditions et enjeux des reportages | ||
7 | Il est important de revenir dans un premier temps à la genèse des enquêtes de Jean-Baptiste Malet et Geoffrey Le Guilcher pour mieux saisir ce fil de l’immersion que je me propose de dérouler. Si ces infiltrations présentent de nombreux points communs, elles n’ont pas été réalisées dans les mêmes conditions, ni selon les mêmes enjeux. Steak machine est le livre qui a lancé la toute jeune maison d’édition de la Goutte d’or spécialisée dans les livres d’immersion inspirés de la narrative non fiction anglo-saxonne, et dont Le Guilcher est co-fondateur aux côtés de Clara Tellier Savary et Johann Zarca. La modalité de l’immersion précédait ainsi le choix de l’abattoir comme terrain d’infiltration ; en attestent les premiers mots du livre : | |
“Et si tu te faisais embaucher dans un abattoir ?” Le texto de mon éditrice me réveille. Il ne m’emballe pas franchement. (SM 9) | ||
L’immersion étant la spécificité des éditions de la Goutte d’or, l’enquêteur que fut Le Guilcher n’a pas hésité à repousser les limites de son investissement : | ||
J’ai pris le parti d’une immersion totale. Les mêmes jeux, la même viande, le même mauvais whisky, les mêmes drogues que les découpeurs de steak. Dans ce monde viril et taiseux, certaines histoires vont se chercher tard dans la nuit. (SM 12) | ||
Geoffrey Le Guilcher dit avoir entendu des confidences durant ces moments plus intimes que même les psychologues du travail, après des années de groupes de parole sur plusieurs sites, n’avaient jamais entendues[16]. La radicalité de l’immersion était donc une nécessité éditoriale tout en étant un outil de l’enquête. | ||
8 | Au moment de son interim, Geoffrey Le Guilcher est également engagé dans un projet d’émission pour Envoyé spécial. L’enquête, soutenue et prometteuse, portait donc à la fois la parution prochaine d’un livre sur les conditions de travail en abattoir, le lancement d’une maison d’édition en quête de légitimité et un reportage télévisuel. L’enquête de Jean-Baptiste Malet, en revanche, est née d’une initiative personnelle. En repérage pour un reportage sur Amazon, désireux de s’entretenir avec des employés, il s’était heurté à leurs refus systématiques. Intrigué par ce silence, l’idée de l’infiltration lui est donc venue après son intérêt pour l’entreprise Amazon. Alors jeune journaliste chez Golias, il propose son projet à la rédaction qui refuse. Déterminé, il pose tous ses jours de congé pour mener l’aventure malgré tout, sans savoir si l’enquête débouchera sur un long reportage, un livre, ou rien. Les conditions beaucoup plus précaires de cette immersion, sans certitude sur l’avenir de son récit, expliquent que le livre ne s’étende pas autant sur l’expérience elle-même. L’auteur dit n’avoir pas réussi à nouer des liens assez solides pour pouvoir partager des moments à l’extérieur d’Amazon mais ce n’était pas le seul frein à l’immersion et à son récit. Malet explique avoir été habité par un sentiment d’urgence tout au long de l’immersion, une “peur du lendemain” propre à son expérience de pigiste : | |
[…] j’avais intégré une contrainte, une contrainte de moyens. Par pragmatisme, j’ai travaillé avec un souci d’efficacité. Pour ce reportage, il y avait ce besoin d’aller à l’essentiel, d’atteindre mon objectif. Cet impératif d’efficacité m’apparaît aujourd’hui lié à la précarité que subissent les jeunes journalistes.[17] | ||
9 | L’équilibre entre la part consacrée au relevé des faits et celle vouée à l’intensité de l’immersion, est fortement corrélé aux conditions de réalisation de l’enquête, elles-mêmes liées à la situation sociale du journaliste. | |
Le problème de l’épuisement physique et moral | ||
10 | Au-delà de ces différences de contexte, les conditions du travail à la chaîne ont imposé des limites à l’immersion. Dans l’abattoir comme dans l’entrepôt logistique, l’optimisation de la production, recherchée sans fin par un nouveau taylorisme plus informatisé, tend à robotiser les employés, à les transformer en composants de la supply chain, à les rentabiliser au maximum sans souci de leurs limites. L’épuisement et la réduction du cercle social constituent les deux éléments d’un étau que les auteurs ont senti se refermer sur eux. De ce fait, le mécanisme insidieux du travail à la chaîne, piège de la résignation physique et psychologique, est le véritable sujet de leurs récits et ne peut être raconté qu’en ayant été vécu. Que ce soit comme employé sur la chaîne-bœuf ou comme pickeur chez Amazon, l’expérience des cadences extrêmes était indispensable pour documenter les conditions de travail dans ces usines de la grande distribution. Jean-Baptiste Malet liste avec précisions les conséquences physiques subies : les vingt kilomètres qu’il doit parcourir chaque nuit provoquent des douleurs aux jambes ; les bouleversements biologiques troublent son appétit et son sommeil, finalement “[c]haque nuitée d’ouvrage est identique, terriblement rébarbative et profondément exténuante” (EA 93). Le rythme infernal a aussi pour conséquence “d’enrayer la pensée en créant un vide mental” (EA 131). Cette hébétude se poursuit aussi en dehors du temps de travail et empêche tout effort de concentration. Compliquée par l’épuisement physique, elle commence même à rendre difficile la poursuite de l’enquête, dès la deuxième semaine. En effet, chaque matin, au retour de sa nuit de travail, Malet doit se faire violence pour maintenir à jour son journal de bord, une prise de note indispensable pour sauver la profusion de “choses vues” et assurer une précision des détails : | |
L’écriture est le seul instant agréable de ma journée, mais le plaisir est gâché par la fatigue. Plus tard il me faudra une discipline de fer pour tenir ce rythme, mon corps ordonnant que je me couche, contre ma tête exigeant pour sa part un compte rendu détaillé de la nuit à l’usine. (EA 97) | ||
Peu à peu, l’expérience du terrain ne nourrit plus l’enquête mais l’étouffe dans la torpeur qu’elle engendre : | ||
À vrai dire, je ne sais pas combien de temps encore je serai capable de tenir ce rythme. Il ne s’agit pas simplement du travail physique d’intérimaire, mais de la concentration supplémentaire qu’exige l’enquête. Je ne suis plus capable de percevoir les détails et de tenir correctement mon journal. Je suis arrivé au stade où il m’est tout juste possible de faire ce qu’Amazon souhaite me voir accomplir dans le cadre du salariat. (EA 127) | ||
11 | Ce fil de l’immersion entre bénéfice et préjudice oblige l’enquêteur à poursuivre un travail réflexif ininterrompu et à sans cesse réajuster son investissement. Dans En Amazonie, lorsque l’auteur pense avoir atteint les limites de l’immersion, il entreprend de se rapprocher des employés syndiqués pour recueillir des témoignages. Il révèle ainsi son identité de journaliste à Simon, lors d’une entrevue en dehors de l’entrepôt, et espère obtenir par son intermédiaire des entretiens avec plusieurs autres membres de la CGT. Aucun d’entre eux ne se présente finalement aux rendez-vous fixés. Ce fiasco journalistique aurait pu être gommé du récit final mais l’auteur décide d’en faire une analyse réflexive qui documente aussi l’épuisement psychologique provoqué par le travail chez Amazon : | |
[…] intérieurement ma première réaction fut celle de l’égoïste, ne songeant qu’à son enquête […]. Je crois que la fatigue fut le terreau propice à cette colère intérieure qui bouillonna en moi et dont il me fallut bientôt comprendre l’inconsistance et la bêtise. (EA 137) | ||
Le fil de l’immersion constitue donc une clé méthodologique de l’enquête qui gagne à être rendue apparente dans le récit à la manière de récentes pratiques de terrains ethnographiques. C’est en effet ce que préconisent plusieurs ethnographes qui pointent l’impossibilité d’être à la fois participant et observateur et proposent d’exploiter cette limite comme un outil épistémologique[18]. Le fil de l’immersion met à distance l’illusion d’une participation au terrain comme pur dévoilement de sa réalité. | ||
Le jeu d’équilibriste des infiltrés entre enquête et épuisement devient le centre de leurs récits parce qu’il constitue aussi un bon fil narratif, si bien que la meilleure manière de décrire ces conditions de travail est finalement de raconter in extremis comment elles rognent peu à peu la force d’enquêter sur elles. | ||
Le fil de la narration : du témoignage au reportage | ||
12 | Dans son livre Usines en textes, Corinne Grenouillet évoque le cas des écritures du travail élaborées à partir d’enquêtes. Elle remarque une double tentation : l’effacement de l’auteur ou l’affirmation de soi[19]. Dans le cas des récits qui nous occupent, cette oscillation se retrouve en effet dans le fil de la narration qui met au jour une concurrence entre l’écriture des impressions personnelles et l’efficacité factuelle attendue d’un reportage. | |
Le témoin empêché : épuisement du temps et de l’espace | ||
13 | La radicalité des conditions rencontrées sur le terrain fait de l’épuisement un leitmotiv dans l’écriture de ces deux récits. Épuisement du corps soumis aux exigences du travail à la chaîne, bien sûr, mais aussi épuisement psychologique, dû à la difficulté de garder secrète son identité et à l’intensité de l’expérience. Corinne Grenouillet rappelle que la routine du travail à la chaîne se prête peu au récit[20], c’est pourquoi l’usine apparaît souvent dans les textes et les films à travers des événements ponctuels : grèves, accidents, conflits, festivité, événements rares qu’une immersion d’un mois ne permet pas forcément de vivre. La grande majorité du temps sur le terrain étant vouée à la répétition des mêmes gestes, comment mener et raconter une enquête quand toutes les conditions convergent à rentabiliser la force de travail ? L’organisation interne d’Amazon est particulièrement impitoyable et rend difficile la création d’affinités entre employés. Il est interdit de discuter dans les rayons et les pointeuses sont situées loin des lieux de pause pour que l’entreprise n’ait pas à rémunérer les trajets, réduisant ainsi le temps libre à une dizaine de minutes, à peine assez pour subvenir aux besoins physiologiques. Dans l’abattoir, Le Guilcher doit dégraisser une carcasse de vache chaque minute. Toute son attention est consacrée à maintenir la dextérité de gestes difficiles, qu’il ne maîtrise toujours pas après deux semaines. Cet épuisement de l’espace et du temps devient finalement une caractéristique de leurs récits et entraîne une “écriture des sas”. La saisie des témoignages se fait sur le vif dans des entre-deux temporels (les pauses) ou des entre-deux spatiaux (les vestiaires, la salle de pause, l’abri fumeurs, le sas hygiène et tous les trajets qui relient ces différents lieux au poste de travail). Le mouvement incessant des corps des travailleurs et le conditionnement de leur déplacement comme de leur temps empêchent tout prolongement des dialogues. Le récit de ces limites participe pourtant paradoxalement à l’enquête : en effet, quoi de mieux pour montrer l’aliénation produite par les cadences que de mettre en scène l’impossibilité même de s’y soustraire ? | |
14 | En cela, Geoffrey Le Guilcher et Jean-Baptiste Malet ne correspondent pas à la figure du témoin-ambassadeur qu’incarnaient les premiers journalistes infiltrés comme Nellie Bly ou Séverine et que décrit Géraldine Muhlmann dans son Histoire politique du journalisme. Figure dominante du journalisme depuis le XIX | |
15 | Pour compléter cette remarque, il faut reconnaître que comme dans les tout premiers reportages infiltrés, le récit à la première personne permet effectivement d’ “embarquer” le lecteur sur le terrain mais le “je” utilisé par Malet et Le Guilcher n’est pas le “je” rassembleur[24] de Bly ou de Séverine. Il ne vise pas un lectorat populaire. Le choix de publier un livre-reportage, plutôt qu’un article dans la presse, restreint de fait le lectorat visé à une population possédant l’habitus de lecture. Par ailleurs, la dénonciation des coulisses de la consommation de masse semble s’adresser à une population déjà sensible à ces questions, voire engagée dans une remise en question de ses propres habitudes de consommation. Le ressort narratif du fil de l’immersion invite finalement le lecteur à s’identifier au journaliste parce qu’il lui ressemble davantage que l’ouvrier. Les auteurs rappellent d’ailleurs régulièrement l’écart sociologique qui les sépare inexorablement des personnes rencontrées sur le terrain. Mettre en lumière cette distance permet notamment à Jean-Baptiste Malet de l’interroger et d’éviter des conclusions hâtives. Lorsqu’il se penche sur les techniques de management du “have fun” chez Amazon, il décrit les différentes activités proposées pour distraire les employés : quizz, cocottes en chocolat distribuées à Pâques, mini-cirque installé sur le parking. Il précise ainsi que “quelqu’un n’ayant jamais mis le pied dans une usine” (EA 103), un travailleur intellectuel comme lui par exemple, peut être tenté de mal interpréter l’enthousiasme que suscitent chez les employés ces “dose[s] de joie artificielle” (EA 104), d’y voir, à tort, un manque d’esprit critique. Il précise ce passage dans une interview pour L’Humanité : | |
Découvrir cette convivialité stratégiquement organisée a sans doute été la séquence la plus intéressante d’un point de vue journalistique. […] en repensant à George Orwell, qui découvre la même réalité dans le Quai de Wigan, j’ai compris que ces gens, s’ils étaient contents de cette convivialité artificielle, c’est que c’est tout ce qu’on leur a laissé. On leur a pris leur énergie, leur enthousiasme, et on leur rend un peu de bonheur conditionné.[25] | ||
Le récit subjectif déstabilise les codes de l’écriture journalistique | ||
16 | L’immersion focalise le récit sur la sensualité et la subjectivité des auteurs, ce qui entraîne les reportages vers une écriture qui ne leur est pas habituelle. Plusieurs éléments incarnent cependant les codes du journalisme traditionnel : la présence d’un chapitre introductif synthétique rappelle le lead[26] que maîtrisent tous les pigistes, l’alternance du récit avec les encarts documentaires assure une connaissance du terrain qui n’est pas uniquement celle de l’expérience et la compilation de ces différents éléments répond aux exigences des 5W. Hormis le récit à la première personne, gage d’honnêteté et de confiance envers le lecteur, Jean-Baptiste Malet ne s’est pas permis une écriture radicalement éloignée des codes journalistiques. Il estime aujourd’hui que cela était lié à la pression de l’efficacité et à son manque de légitimité au moment de l’écriture. Il regrette d’ailleurs de ne pas avoir lu avant L’établi de Robert Linhart car cela l’aurait peut-être aidé à s’autoriser une écriture plus littéraire qui ne s’oppose pas à une fidélité factuelle, ni à une remise en question de ses positions personnelles. Geoffrey Le Guilcher écrivait, lui, pour une maison d’édition se revendiquant du journalisme littéraire. Son récit profite donc de l’expérience subjective pour “se littérariser”. Durant l’entretien qu’il nous a accordé, il a reconnu que l’intensification de son immersion par la participation à des soirées et la prise de drogue n’était pas seulement une manière de pousser plus loin l’enquête. Ce complément d’expérience lui a aussi apporté un matériau narratif important et donc une aide précieuse pour sortir d’une écriture uniquement journalistique. | |
17 | Outil central de l’immersion, le corps est aussi un bon catalyseur de littérarité. Dans Steak Machine, la thématique du corps permet de rendre compte d’un travail rébarbatif sans verser dans l’ennui. La répétition des mêmes gestes entraîne des tendinites aux coudes, aux poignets, bloque les doigts et le dos se tasse au fil des années. En pause ou lors des soirées, les conversations sont ponctuées par la liste des douleurs de chacun : “il est mort mon dos !” (SM 64) ; “[…] tout le monde est foutu à Mercure […]” (SM 48) ; “j’ai trois disques usés au niveau des cervicales […]” (SM 108) ; “Moi de L1 à L5 (les cinq vertèbres lombaires qui se trouvent en bas du dos), tous mes disques sont écrasés” (SM 65). Le Guilcher constate que “[l]es ouvriers connaissent les chiffres correspondant à leurs disques, à leurs lombaires, à leurs os, tendons et cartilages […]” (SM 109). Le lecteur ne peut s’empêcher de rapprocher ces corps morcelés aux quartiers de viande numérotés au fil de la chaîne, associant avec violence la maltraitance animale à la souffrance physique des employés. En découpant et dégraissant toutes ces carcasses, c’est eux-mêmes qu’ils réduisent en morceaux de chair et d’os. Soumis à l’avancée mécanique et inexorable du rail où sont suspendues les carcasses, le corps devient une partie de la chaîne dans une aliénation physique que l’auteur vit dès les premières semaines : “J’ai l’impression de fonctionner avec mon corps comme le font les chefs avec la chaîne, je découvre sans cesse une nouvelle panne et je dois la régler au plus vite pour tenir la cadence” (SM 76). L’effet de confusion entre les corps des animaux et ceux des ouvriers trouble le lecteur parce que le récit long tisse peu à peu la redondance des dialogues centrés sur les douleurs aux descriptions de viande découpée. Cet effet du texte n’existe qu’à travers l’expérience subjective du journaliste, il n’a rien d’une observation journalistique, mais lui seul peut faire saisir au lecteur l’aliénation subie par les ouvriers. | |
18 | La subjectivité du témoin empêché par le travail rébarbatif concurrence l’écriture journaliste. Le fil de la narration suit ainsi celui de l’immersion pour mieux rendre compte de réalités non perceptibles par la simple observation objective. En cela, le récit n’est pas seulement un emballage de l’information pour la rendre plus digeste au lecteur, il participe à sa restitution fidèle et à la préservation de sa profondeur et de ses nuances. Le journaliste américain Ted Conover, connu pour ses infiltrations spectaculaires, rappelle l’importance du récit dans un entretien avec Robert S. Boynton : | |
Je fais de la narrative nonfiction. J’aime cette expression parce qu’elle n’a pas la prétention de celle de “journalisme littéraire” et qu’elle insiste sur le fait que c’est le récit, la narration, qui forme la colonne vertébrale de mon travail.[27] | ||
Ce fil narratif ne sert-il pas, par ailleurs, une forme de sensationnalisme dont les médias sont friands ? | ||
Le fil de la diffusion : une puissance médiatique de l’immersion à double tranchant | ||
Sensationnalisme du journaliste-héros | ||
19 | Sur le plateau de l’émission C à vous, le 3 février 2017, Geoffrey Le Guilcher est l’invité du jour[28]. “Infiltré dans un abattoir”, le bandeau fixe en bas de l’écran informe le téléspectateur retardataire de la particularité du journaliste convié. Le présentateur l’interroge : “Vous vous êtes donc grimé, vous avez changé votre visage, […] vous avez enlevé les lunettes ?” Une photo “selfie”, prise par Le Guilcher au moment de son infiltration, survient sur l’écran et atteste effectivement d’un net changement physique (crâne rasé, lentilles, rouflaquettes). Quelques minutes plus tard, le présentateur amène la discussion sur les douleurs ressenties par le journaliste sur la chaîne ; cette fois, apparaît une photo de ses mains abîmées et couvertes de pansements. Cette priorité donnée au corps du journaliste est significative. Le corps, comme premier accès au réel, est aussi un média, passerelle privilégiée vers le lieu fermé et fantasmé de l’abattoir. De corps empêché dans le récit, il devient corps monstre à la télévision, révélant une fascination collective pour le ressenti du journaliste alors même que le travail dont il a fait l’expérience ne diffère pas de celui qu’effectuent des milliers d’ouvriers chaque jour. Le journaliste est à la fois cobaye et fusible : comment a-t-il supporté l’expérience ? Jusqu’où a-t-il pu tenir ? | |
20 | Ce sensationnalisme du journaliste-héros envoyé dans les bas-fonds est un classique depuis les débuts du reportage infiltré. La deuxième moitié du XIX | |
21 | L’immersion a de toute façon l’avantage de répondre totalement aux codes télévisuels : force des images volées, storytelling tissé par la clandestinité du reporter, anecdotes puissantes liées à la diversité des rencontres et figure du journaliste courageux à l’assaut de la vérité, autant d’éléments qui font le bonheur des présentateurs d’émissions. Cependant, l’immersion pratiquée par Jean-Baptiste Malet et Geoffrey Le Guilcher diffère de celle que l’on retrouve dans des émissions comme Cash Investigation, dont la méthode récurrente est celle de la caméra cachée. Malet l’explique en ces termes : | |
Je pense que l’introduction de caméras cachées chez Amazon n’est pas ce qu’il y a de plus pertinent, parce qu’elles filment un travail rébarbatif. Statistiquement, elles ont peu de chance de filmer quelque chose d’intéressant. À la télévision, tout doit aller vite, et trop vite : l’entrepôt y devient bien souvent, malheureusement, un théâtre sans complexité.[35] | ||
Les nuances sont complètement tassées par le format télévisuel qui ne retient que la mise à l’épreuve du corps, d’abord celle du reporter puis celle des ouvriers à contretemps. La présence du journaliste sur le plateau devient la porte d’entrée au terrain infiltré, son expérience, un sas. Le travail d’écriture, quant à lui, est totalement ignoré alors qu’il suppose de nombreuses problématiques méthodologiques et éthiques, comme nous l’avons évoqué plus tôt. L’immersion est cantonnée à son rôle de dévoilement et de dénonciation, coupée de sa narration. | ||
22 | Finalement en n’interrogeant pas le travail d’écriture, c’est la légitimité même de ce type de témoignage que la télévision n’interroge pas. Selon Corinne Grenouillet[36], l’intérêt médiatique pour ce type d’immersion dans la réalité du travail précaire et pénible, s’explique par l’absence de témoignages “authentiques” d’ouvriers à qui on ne tend pas souvent le micro. J’ajouterais le fait que ce sont des journalistes qui interviewent Le Guilcher et Malet, eux-mêmes journalistes, ils représentent un même groupe social qui s’adresse majoritairement à leur propre classe sociale. Philippe Lejeune notait déjà ce cloisonnement sociologique au sujet des livres-enquêtes écrits à partir de témoignages : | |
Il y a toujours un intermédiaire (journaliste, romancière, etc.) appartenant à la classe qui produit et consomme les livres, qui a interrogé un individu qui appartient à un autre milieu […] On est dans une situation ethnologique : une civilisation en questionne une autre. Le paysan (l’artisan, etc.) est en position non d’auteur, mais d’informateur indigène. […] L’enquêteur ne se comporte pas seulement comme écho du modèle, mais comme représentant du destinataire du livre. Il est dans une position de transaction.[37] | ||
Alors que le récit de l’immersion peut permettre d’interroger cette rupture, le sensationnalisme de l’infiltration ne fait que l’accentuer. | ||
À rebours du journalisme différent revendiqué | ||
23 | Ce conditionnement médiatique par le sensationnalisme a tendance à simplifier le rapport du journaliste à la réalité infiltrée. C’est d’autant plus contradictoire avec le travail de Le Guilcher et Malet qu’ils se réclament tous d’eux d’un journalisme différent. Jean-Baptiste Malet est particulièrement hostile envers les médias dominants qu’il rend en partie responsables du succès commercial d’Amazon. Il les accuse d’avoir relayé ses prouesses technologiques, sans jamais interroger la réalité des travailleurs cachés dans les coulisses : “À mon sens la raison d’être des médias est d’incarner un contre-pouvoir, de vérifier la véracité des discours, et de stimuler l’esprit critique. Pas de s’émerveiller de sornettes en attendant l’avènement d’un lointain paradis technologique”[38]. | |
24 | L’immersion en abattoir comportait une dimension spectaculaire comme une vitrine adaptée au lancement de la maison d’édition de la Goutte d’or. Pour autant, elle n’a pas été vécue par Le Guilcher comme une performance. Elle était une modalité de l’enquête et apportait le terreau propice à une écriture. Le Guilcher et Malet revendiquent une approche du réel plus directe et plus humaine, délivrée des grands principes journalistiques dits de déontologie. Dans leurs entretiens, ils sont revenus tous deux sur la question de la transparence. L’immersion engage le journaliste personnellement, elle l’oblige à décrire avec précision les conditions de son enquête et donc à présenter la réalité depuis son propre point de vue assumé et ce qu’il entraîne comme prismes. Geoffrey Le Guilcher l’exprimait en ces termes durant l’entretien : | |
[…] le fait d’essayer d’être totalement neutre, surtout pour un travail au long cours, masque plusieurs dimensions : il y a une multitude de raisons qui font qu’on entre en obsession avec un sujet, des raisons personnelles, des raisons de travail. L’honnêteté maximale, c’est de les dire. | ||
Ce postulat repose sur une confiance donnée à l’intelligence du lecteur. Le Guilcher se rapproche des “tueurs” à la fin de son enquête et décrit leur absence d’empathie mais il sait que le lecteur à ce moment-là du récit en sait assez sur la réalité de l’abattoir pour ne pas simplement conclure que ces ouvriers sont sadiques. Plutôt que de se plier à une objectivité et une neutralité totale, assumer un point de vue subjectif et situé est une forme de transparence qui propose un accès à une réalité plus riche, plus nuancée et plus complexe. | ||
⁂ | ||
25 | Les différentes étapes de fabrication des livres-enquêtes que sont Steak Machine et En Amazonie montrent que l’expérience vécue sur le terrain est à la fois nécessaire et envahissante. Nous l’avons vu, la pénibilité du travail à la chaîne documente autant qu’elle épuise, son récit bouscule les normes du journalisme traditionnel et l’investissement du corps du journaliste appelle un sensationnalisme médiatique qui risque d’occulter les vérités de l’investigation. De plus, l’initiative est paradoxale, puisqu’elle utilise (malgré elle ?) les codes des médias dominants tout en prônant un journalisme différent. Finalement, seule la narration permet de réconcilier la singularité du témoignage aux enjeux heuristiques de l’enquête. Le fil de l’immersion devient alors le fil narratif et l’expression forcément subjective de ce vécu, appelle des inflexions plus littéraires. | |
26 | Ces textes ne se réclament pas de la littérature et n’en sont pas au sens où les institutions littéraires l’entendent : l’écriture, trop rigidifiée par la nécessité de légitimer l’enquête, n’innove pas pour répondre aux exigeantes nuances de l’expérience. Pourtant, ils représentent bien les tentatives actuelles pour renouveler le journalisme grâce à une écriture plus littéraire. Ils entendent puiser dans le terreau d’une expérience de terrain l’intensité qui pourra porter le lecteur vers plus d’authenticité. Au tournant du XIX | |
Violaine Sauty Université Paul-Valéry Montpellier 3 / Université Libre de Bruxelles |
Notes
[1] Jean-Baptiste Malet, En Amazonie : infiltré dans le “meilleur des mondes”, Paris, Fayard, 2013, p. 67 ; dorénavant EA.
[2] Idem.
[3] Geoffrey Le Guilcher, Steak machine, Paris, Éditions Goutte d’or, 2017, p. 17 ; dorénavant SM.
[4] Marie-Ève Thérenty, “Dans la peau d’un autre. La pratique de l’immersion en journalisme et en littérature : histoire et poétiques”, dans Pierre Leroux et Érik Neveu (dir.), En immersion : pratiques intensives du terrain en journalisme, littérature et sciences sociales, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 26-36.
[5] Nellie Bly, “Ten Days in a Mad-house”, New York World, octobre 1887.
[6] Je reprends la distinction entre immersion corporelle et immersion identitaire à Mélodie Simard-Houde, développée dans sa thèse de doctorat : Le reporter, médiateur, écrivain et héros : un répertoire culturel (1870-1939), Thèse de doctorat en études littéraires, sous la direction de Guillaume Pinson et Marie-Ève Thérenty, Québec/Montpellier, Université Laval/Université Paul Valéry, 2015.
[7] Voir : Pierre Leroux et Érik Neveu, “Le foisonnement de l’immersion”, En immersion, op. cit., p. 11-21.
[8] Séverine, “Les Casseuses de sucre. Notes d’une gréviste”, Le Journal, 28 septembre 1892.
[9] Jean-Noël Retière, “L’observation vécue d’après Jacques Valdour (1872-1938) : surprendre, éprouver…”, En immersion, op. cit, p. 93-105.
[10] Simone Weil, La condition ouvrière, Paris, Gallimard, 2002, [1951].
[11] Jean Peneff, “Les débuts de l’observation participante ou les premiers sociologues en usine”, Sociologie du travail, 38ᵉ année n° 1, janvier-mars 1996, p. 25-44.
[12] Robert S. Boynton, The New New Journalism, New York, Vintage books, 2005.
[13] Je remercie Geoffrey Le Guilcher de m’avoir accordé un entretien téléphonique le 26 octobre 2018 et Jean-Baptiste Malet de m’avoir réservé un peu de son temps pour répondre à mes questions lors de son passage à Paris le 14 novembre 2018.
[14] Le terme “participation observante” est forgé par Loïc Wacquant lorsqu’il rend compte de son enquête dans un club de boxe du ghetto de Chicago. Il s’est fait lui-même boxeur pour parvenir à intégrer ce milieu : voir Loïc Wacquant, “L’habitus comme objet et méthode d’investigation. Retour sur la fabrique du boxeur”, traduit de l’anglais par Françoise Wirth, Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 184, n° 4, 2010, p. 108-121.
[15] Plusieurs études analysent finement ce paradoxe tant pour les enquêtes journalistiques qu’ethnographiques. Géraldine Muhlmann note que Dans la dèche à Paris et à Londres, le récit de la métamorphose d’Orwell en clochard suppose en partie son échec : “[…] c’est tant que la métamorphose n’est pas réussie qu’elle permet encore d’y voir quelque chose. […] À l’inverse, pour que la métamorphose soit jugée complète, il faudrait qu’elle soit telle qu’Orwell perde en même temps toute faculté d’observation étonnée et curieuse de ce qui lui arrive, jusqu’à rendre toute narration impossible”, Une histoire politique du journalisme. XIX-XX siècle, Paris, PUF, 2004, p. 367. Raymond Gold souligne que l’un des risques du sociologue “pur participant” est de “virer indigène” (go native), “[…] alors, il outrepasse tellement son rôle d’observateur qu’il lui est impossible de rendre compte des résultats”, Raymond Gold, “Jeux de rôles sur le terrain. Observation et participation dans l’enquête sociologique”, dans Daniel Céfaï (dir.), L’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2003, p. 344.
[16] Propos issus de l’entretien.
[17] Propos issus de l’entretien.
[18] Voir par exemple le travail de l’ethnologue Jeanne Favret-Saada qui rappelle que l’observation participante est un oxymoron et estime que l’ethnographe doit se laisser “affecter par le terrain” pour faire de ses affects le matériau d’une analyse. Jeanne Favret-Saada, “Être affecté”, Gradhiva n° 8, 1990, p. 3-10.
[19] Corinne Grenouillet, Usines en textes, écritures au travail, Témoigner du travail au tournant du XXI siècle, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 90.
[20] Ibid., “Face à la condition ouvrière : anciens topoï”, p. 107-138.
[21] Géraldine Muhlmann, Une histoire politique du journalisme, op. cit., p. 59.
[22] Ibid., p. 80-81.
[23] Ibid., “Nous faire voir le caché et nous faire voir le nous”, p. 133-144.
[24] J’utilise ici la terminologie de Géraldine Muhlmann qui oppose dans son Histoire du journalisme politique, le journalisme du rassemblement au journalisme du décentrement.
[25] “Jean-Baptiste Malet ‘L’internaute doit savoir ce qu’il y a derrière l’écran’ ”, entretien réalisé par Grégory Martin pour L’Humanité, le 2 mai 2013.
[26] Voir “l’ordre du discours spécifique” au journalisme décrit par Erik Neveu dans Sociologie du journalisme, “IV. L’écriture du journalisme”, Paris, La Découverte, 2013, p. 64-79.
[27] “Différentes casquettes. Entretien avec Ted Conover”, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anatole Pons, Feuilleton n° 16, 2016, p. 110-111, entretien issu de The New New Journalism de Robert S. Boynton, op. cit.
[29] “La notion de chose vue émerge au milieu du siècle : elle fonde un journalisme d’observation qui s’oppose à la chronique salonnière et fictionnalisante”, Marie-Ève Thérenty, La littérature au quotidien. Poétiques journalistiques du XIX siècle, Paris, Seuil, 2007, p. 357.
[30] “Le culte du vu comme preuve collectivement recevable, à la différence des rumeurs (les voix), est une constante du journalisme populaire américain de la seconde moitié du XIX
[31] Guillaume Pinson & Marie-Ève Thérenty, “L’invention du reportage”, Autour de Vallès n° 40, 2010, p. 12.
[32] “[…] Jules Vallès invente ce qui va devenir un topos du reportage : le paradigme de Dante […]. User du paradigme de Dante, nécessite de combiner un savant feuilleté de procédés et de procédures : la chose vue, l’écriture à la première personne du singulier, la scénographie infernale avec ses forts effets de dramatisation graduée, la mise en danger du témoin ambassadeur avec son corps en transgression”, ibid.
[33] “En changeant de vêtement, j’étais passé sans transition d’un monde dans un autre. Tous les comportements étaient soudain bouleversés”, George Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres (Down and Out in Paris and London, Londres, 1933), traduction de Michel Pétris, Paris, Ivrea, 1993, p. 168.
[34] “M’exposer au danger est une manière de faire rentrer le lecteur dans l’histoire”, Ted Conover, “Différentes casquettes. Entretien avec Ted Conover”, art. cit., p. 114.
[35] Propos issus de l’entretien.
[36] Corinne Grenouillet interroge, dans Usines en textes, la légitimité de l’infiltré à témoigner d’une misère dont il n’a fait l’expérience qu’un temps, au nom de ceux dont c’est le quotidien. Op. cit., p. 82.
[37] Philippe Lejeune, Je est un autre. L’autobiographie, de la littérature aux médias, “Le Document vécu”, Paris, Seuil, 1980, p. 223.
[38] "Amazon n’est pas une simple multinationale, c’est un modèle de société liberticide", entretien avec Jean-Baptiste Malet, par David Doucet, Les Inrockuptibles, le 4 décembre 2013.
[39] L’édito du numéro 1 de XXI, premier mook paru en France, est un véritable manifeste de ce journalisme alternatif : “L’information s’est multipliée, et notre regard s’est rétréci. Prendre le temps, se décaler, redonner des couleurs au monde, de l’épaisseur aux choses, de la présence aux gens, aller voir, rendre compte : telle est la volonté de XXI”, Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry, éditorial, XXI, n° 1, 2008.
2012 | Revue critique de fixxion française contemporaine | (ISSN 2033-7019) | Habillage: Ivan Arickx | Graphisme: Jeanne Monpeurt
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